Pour bien commencer l’année 2024, nous avons publié la semaine dernière la première des quatre parties de notre grand entretien de janvier, avec pour invitée dans nos colonnes la lexicographe et ethnobotaniste en domaine occitan Josiane Ubaud. Après avoir évoqué l’importance des dictionnaires et de la codifications pour la sauvegarde des « langues autochtones » (elle refuse d’utiliser « les mots des jacobins » et n’utilise donc pas le mot « langues régionales« ) ou encore l’importance des travaux des folkloristes et des ethnologues, sans qui « nos mots seraient secs« , Josiane Ubaud continue de nous dévoiler sa vision des langues et des cultures. Cette semaine, elle condamne avec force le traitement des langues régionales par l’État français et l’École de la République, tout en affirmant sa double-culture et son trilinguisme.

Propos recueillis par : Lamia DIAB EL HARAKE, Nidal EL YACOUBI et Gaëtan DESROIS.

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CHEMINEZ : On abordait le collectage, nous avons vu que vous écrivez des contes en occitan. Pourriez-vous nous en parler ? 

JOSIANE UBAUD : J’écris des contes en occitan. Ce sont des contes originaux – je les invente moi-même. J’en ai d’ailleurs écrit un qui va bientôt être publié. Il s’agit d’un conte féroce, qui traite des violences que les locuteurs de langues autochtones ont subies depuis le XIIIème siècle. En me basant sur des faits réels, sur des travaux sérieux, j’ai voulu montrer comment l’éducation nationale a enseigné la honte aux enfants vis-à-vis de leurs langues maternelles. Jusqu’au siècle dernier, les enfants parlant une langue régionale à l’école étaient humiliés. Si l’un d’entre eux était surpris à parler sa langue à l’école de la République, il devait dénoncer un autre de ses camarades pour ne pas être sanctionné. Et le dernier enfant dénoncé portait le chapeau pour tout le monde : il était alors puni de la manière la plus humiliante possible. 

J’ai tiré tous ces actes vers l’horreur, exprimant ma férocité à l’égard de nos attaquants. Et j’ai donné à chaque fois la référence, le nom de l’ouvrage, l’auteur, l’année, pour qu’on ne me traite pas d’affabulatrice. Non, ce sont des faits réels. 

Des amis m’ont raconté d’ailleurs que dans une école communale du Limousin, qui accueillait une calendreta – parce que tous les locaux n’étaient pas occupés –, les professeurs ont séparé la cour de récréation en deux, pour pas qu’il y ait de pollution entre les enfants. L’argument officiel, c’était la question de l’assurance – mais ce n’est qu’un prétexte. On a traité les enfants qui parlaient occitan comme des pestiférés. Et cela concerne tous les locuteurs de langues autochtones. 

CHEMINEZ : Ça a même existé au-delà de nos frontières. On a fait un dossier sur les langues régionales, et un lecteur américain d’origine libanaise nous a dit qu’il a subi la même chose au Liban. Il recevait des cours en français dans une école française, et le professeur leur interdisait d’utiliser la langue arabe. Elle dénigrait la langue et celui qui était surpris à parler la langue arabe devait dénoncer un autre enfant. Cette dame-là a dit que cette pratique était utilisée en France et que c’est comme ça qu’on apprenait. Le jacobinisme s’est exporté !

JOSIANE : Les maladies s’exportent toujours… Les hussards noirs de la République, on sait ce que c’est… Certains ne veulent pas croire à ce racisme… « Les occitans sont des singes et des chiens, une race de carlins. » C’est horrible. Il faut noter cependant que certains n’ont pas du tout suivi ce mouvement, et au contraire ont misé sur le bilinguisme pour mieux apprendre le français. Ils avaient tout compris ! Cette imbécile au Liban aurait dû se servir des deux langues. Ce n’est même plus de l’imbécilité ; le mot ne suffit pas. 

CHEMINEZ : Notre premier article sur Cheminez s’intitulait « Langues Régionales : la France, coupable de linguicide ? » On y évoquait les lois Ferry, et on a trouvé un acte de colloque, qui parlait de la manière dont la IIIème République a opprimé les langues régionales à l’école au Pays-Basque, en Bretagne, en Occitanie. 

JOSIANE : « Linguicide », c’est exactement le mot. Je voulais d’ailleurs souligner que j’ai été très heureusement surprise que France 3 ait passé ce remarquable reportage sur l’Alsace il y a quelques jours. Des alsaciens y expliquaient combien ils ont été maltraités linguistiquement. Il y a quinze ans, on n’aurait pas pu entendre ça à la télévision. On a fait quelques progrès. Mais ce sont des progrès infimes. Quand on voit que le Conseil d’État a interdit le ñ sur le prénom breton Fañch et le í pour le prénom Magalí, je me dis : « Tu as milité quarante-cinq ans pour encore entendre qu’on est des délinquants avec un accent aigu ou un n tildé. » 

« Ça n’enlève pas le coup de poignard dans le dos. »

CHEMINEZ : Il y a d’ailleurs eu une sixième affaire Fañch qui a éclaté il y a quelques semaines en Bretagne. La troisième en trois ans. 

JOSIANE : Oui. J’ai vu qu’un artiste a mis un n tildé monumental à l’entrée de Landernau. C’est rigolo, mais ça n’enlève pas le coup de poignard dans le dos. 

©PHOTOPQR/LE TELEGRAMME/Valérie Gozdik

CHEMINEZ : Rappelons que le n tildé fait partie de l’Histoire linguistique française, puisque comme l’a démontré Bernez Ruz, le n tildé était présent en Ancien Français. 

JOSIANE : Je me demande s’il n’est pas dans l’Édit de Villers-Cotterêts. Je crois avoir lu ça il y a un jour ou deux. 

CHEMINEZ : Vous l’avez dit, l’occitan est une langue régionale menacée, au même titre que le breton, le basque et le corse. Sa survie réside dans la volonté des populations de la transmettre et de l’utiliser. Qui doit-on convaincre ? Est-ce qu’il faut convaincre les locuteurs eux-mêmes de transmettre cette langue à leurs enfants ? Ceux qui ne la parlent pas, mais vivent dans son aire géographique ? Ou alors faut-il convaincre jusqu’au plus haut de l’État jacobin pour qu’ils en assurent la promotion à travers les voies d’éducation traditionnelles que sont l’école, l’université et la culture ? 

JOSIANE : Les trois, mon capitaine. (rires) Je pense qu’une partie de la population a honte d’avoir courbé la tête et de ne pas avoir transmis ses langues, conformément aux ordres donnés par le jacobinisme. Ces gens-là refusent que des jeunes occitanophones prennent le relai, et les accusent de ne pas parler le bon occitan. J’en ai rencontré ; ils étaient assez agressifs ; je leur ai dit : « Si vous n’aimez pas la nouvelle manière de parler l’occitan, vous n’aviez qu’à le transmettre ; les jeunes le parleraient comme vous vouliez qu’ils le fassent. » 

Ce refus est présent chez certains anciens. J’ai récemment participé à une réunion pour un projet Grand-Site dans le Gard. L’objectif est de faire ressortir le parler et les savoir-faire de cet endroit. J’ai entendu une personne, présente à la réunion, qui s’est exclamé : « Ça n’intéressera personne. Ça ne sert à rien. » Pourtant, cette personne est du coin… 

En revanche, il y a des nouveaux arrivants, qui ne parlent pas occitan, mais qui, parce qu’ils ont le bonheur de vivre dans nos paysages – les paysages ne tombent pas du ciel, ils sont façonnés par les habitants – ressentent le besoin de découvrir le pays, sa culture ; ils inscrivent donc leurs enfants dans des écoles Calandreta, et apprennent l’occitan. C’est d’autant plus réjouissant que cela contrecarre l’argument du « passéisme », parce qu’il s’agit bien souvent de jeunes parents. 

Crédits : @SudOuest Calendreta Pergosina, école occitane de Périgueux

Crédits : @SudOuest Calendreta Pergosina, école occitane de Périgueux

Le maillon le plus important, le plus fondamental, ce sont les politiques. C’est une question politique. Mais pas la politique d’en-haut, du sommet de l’État ; plutôt de la politique d’en-bas, du local. Tant que les élus ne militeront pas eux-mêmes, ne gueuleront pas si fort que ceux d’en-haut en deviendront sourds, ça n’avancera pas. 

Si la langue bretonne a du succès, c’est parce que tous les politiques bretons se sont mouillés pour défendre leur langue. En Occitanie, nos politiques sont bien jacobins, et ne veulent pas entendre parler de l’occitan ; ils viennent nous gratouiller sous le menton tous les cinq ans, aux moments des élections : « Si, je vous assure, on va mettre les panneaux des villes en Occitan », mais cela ne se fait pas. 

Des panneaux bilingues, on en voit dans tous les villages de l’Aveyron, parce que les politiques sont impliqués. C’est la même chose en Bretagne, au Pays-Basque et en Alsace. Vous avez des implications beaucoup plus importantes en Aquitaine que dans le Languedoc. Même si je dois souligner que la nouvelle Présidente est plus impliquée que son prédécesseur.

En Provence, ils sont très peu impliqués, et quand ils le sont, c’est au service de la frange la plus réactionnaire. Attention : quand je parle de frange réactionnaire, ça ne veut pas du tout dire qu’ils appartiennent à l’extrême-droite. Ce sont, pour la majorité d’entre eux, des socialistes. 

Notre malheur en occitan, c’est que nous avons deux graphies : une orthographe phonétique à la française, dite « mistralienne » (qui nous vient de Mistral), et une autre orthographe classique, portée par le mouvement occitaniste, et dont l’objectif est de revenir à l’écriture historique de l’occitan. En Provence, la graphie classique est diabolisée ; les pouvoirs locaux jouent sur cette division-là. 

Pour les Provençaux, le Rhône semble être davantage une frontière que les Pyrénées. Ils n’ont aucune connaissance en linguistique, ne savent pas que les caractéristiques du provençal traversent le Rhône pour aller jusqu’à Nîmes, refusent l’Histoire commune. À propos de cette Histoire partagée, il y en a qui disent : « Nous ne sommes pas concernés par le catharisme parce qu’il n’y avait pas de cathares en Provence ! » Mais ils semblent ignorer combien les horreurs commises en Languedoc contre les cathares ont touché les Provençaux. Ils se sont mobilisés pour venir en aide aux troupes qui combattaient Simon de Montfort. Ce sont des nuls, dont l’objectif est : « Être le premier dans mon village mais pas le second à Rome. »

CHEMINEZ : Lorsque vous voyez comment la loi Molac a été retoquée par le Conseil Constitutionnel, est-ce que vous trouvez cela désespérant ? Est-ce que c’est votre combat ? 

JOSIANE : Je me suis évidemment réjouie de la loi Molac et du revirement du Sénat, qui n’avait pas les mêmes positions il y a trente ans. Et bien non ! C’était sans compter sur ce dernier piège… Mais bon… Était-ce si étonnant de la part de ces bons socialos (Jean-Michel Blanquer, Laurent Fabius), jacobins jusqu’à la racine des cheveux ? 

Le député Paul Molac

En me concentrant uniquement sur les élus d’Occitanie, j’ai fait un relevé de tous les gens qui ont voté non : pour la grande majorité, ils venaient de la région parisienne, même si quelques-uns d’entre eux – des traitres absolus ! – sont nés en terre occitane. Oui, c’est désespérant. Comment peut-on en arriver là pour un accent diacritique, qui attenterait au français, alors que l’État Civil accepte tous les prénoms de tous les pays du monde ? Par contre le ñ dans un prénom breton et un í dans un prénom catalan, cela porterait atteinte à l’unité de la France. C’est effrayant !

CHEMINEZ : Transmettre une langue, c’est transmettre une vision du monde. En tant que chercheuse militante, vous pensez que l’enseignement de l’occitan doit être obligatoire pour les habitants d’Occitanie ? 

JOSIANE : Malheureusement, si vous dites « obligatoire », cela va faire monter au créneau… Après, bien évidemment, je suis pour : parler une langue, c’est une vision du monde, une façon d’être au monde, c’est pouvoir comprendre les toponymes, qui demeurent opaques pour tous ceux qui ignorent la langue. Ils ne savent pas que Freissinières, c’est « une forêt de frênes » ; qu’il n’y a pas eu de meurtre ou d’assassinat à Sanguinède [nom occitan de Sanguinet, NDLR], et que ce toponyme renvoie à une « étendue de cornouillers sanguins ». 

Je ne vois pas en quoi la liberté de chacun serait menacée par quelques heures d’initiation à l’occitan pour comprendre l’Histoire locale. Malheureusement, ce n’est pas l’objectif, de nous enseigner l’Histoire locale : moi qui suis provençale, on ne m’a jamais appris l’Histoire de la Provence. C’est aussi vrai pour toutes les régions. On apprend uniquement l’Histoire française. 

« On nous apprend l’Histoire de l’État français. »

CHEMINEZ : Morvan Lebesque disait d’ailleurs qu’on n’apprenait pas l’Histoire de France, mais uniquement l’Histoire de l’État français. 

JOSIANE : C’est une meilleure formulation, effectivement. On nous apprend l’Histoire de l’État français. Avec ce paradoxe : l’État se glorifie de la diversité de ses paysages, de ses fromages, de ses vins, mais avec un accent unique, et dans le mépris des accents régionaux. C’est le règne de l’imposture permanente.

CHEMINEZ : On a entendu un monsieur, qui parlait occitan, et qui personnellement ne se voyait pas enseigner cette langue à sa fille, et qui préférait qu’elle apprenne l’anglais, parce que cette langue aurait plus d’avenir. 

JOSIANE : C’est la conséquence de la honte qu’a inculquée l’État jacobin à plusieurs générations. Cela va de pair avec ce sentiment d’inutilité que vous évoquez. On a envie de répliquer à ce monsieur :

« Si ta fille fait expert-comptable, est-ce que les cours d’Histoire lui seront utiles ? Est-ce que l’anglais est utile à un futur kiné ? Est-ce que la théorie des ensembles en mathématiques ou la géographie de la Russie est utile à un boulanger ? »

C’est toujours envers les langues régionales que l’on ressort l’argument de l’utilité. Un autre argument que l’on entend souvent, c’est : « Vous coûtez cher ! » Comme dit le dicton : « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. »

On peut toutefois rétorquer par un contre-exemple que j’étudie depuis longtemps : le succès de nos exportations étiquetées en Occitan. Ça, on n’en parle jamais ! Les gens en ont marre de l’uniformisation. Les vignerons ont été les premiers à comprendre l’avantage que leur apportait l’affichage en langue autochtone. C’est la raison pour laquelle plusieurs cuvées sont affichées en occitan.

C’est quelque chose que l’on observe également pour tous les fromages – je suis bien placée pour en parler : j’habite à côté du Larzac, où il y a une très grosse production de fromages, et tous ont des noms occitans. Ces noms en occitan ont valeur d’authenticité, parce que les producteurs revendiquent leurs origines. Moi qui suis très sensible à ça, et qui suis amenée à rencontrer des gens qui nient l’intérêt de l’occitan, ça fait partie de mes arguments. 

J’ai une anecdote à vous raconter : une institutrice m’a appris que, selon des orthophonistes, si votre enfant apprend l’occitan et qu’il est dyslexique, sa dysgraphie s’explique parce qu’il apprend l’occitan. Certaines dyslexies seraient dues à l’apprentissage des langues autochtones. Par contre, c’est étrange : l’anglais de rend pas dyslexique…

CHEMINEZ : Ça nous fait penser que lors du Congrès de Milan en 1880, il a été dit que la langue des signes donnait la tuberculose. Nous ne sommes donc pas étonnés. 

JOSIANE : On n’y a pas encore eu droit à celle-là. (rires)

CHEMINEZ : Sur votre site internet, on a vu que parmi tous les travaux que vous publiez, une grande partie d’entre eux sont en occitan uniquement. On s’est donc demandé à qui vous vous adressez par l’intermédiaire de ce blog ? 

JOSIANE : Je m’adresse en premier lieu à tous les gens qui me connaissent, qui suivent mon travail de près. Et plus généralement, mes articles en occitan sont adressés aux occitanophones.  J’ai tenu à ce que ma langue soit omniprésente sur internet. Parce qu’en être absent, c’est cautionner que ce n’est pas une langue. Je me suis battue pour cela. C’est un travail considérable.

Les articles de linguistiques, je les écris uniquement en occitan ; la raison est simple : cela n’intéresse que les occitanophones. J’ai également écrit des articles sur les paysages, sur les villes, sur les montagnes, en occitan. 

Selon le thème, il m’est arrivé de publier des ouvrages bilingues. Par exemple, un de mes livres, traitant des paysages, a connu un certain succès auprès des architectes-paysagistes. C’est le lectorat que je voulais toucher en priorité, et je n’aurais pu m’adresser à eux si j’avais écrit ce livre uniquement en occitan. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi d’écrire un livre en français, avec toutes les citations en occitan, et traduites en français. Des architectes qui ont lu mon livre et que j’ai rencontrés m’ont dit : « Vous avez éclairé notre métier. » J’avais atteint mon but. 

Le conte que je vais bientôt publier et que l’on évoquait tout à l’heure, je voulais initialement le sortir qu’en occitan. Mais mon éditeur m’a demandé qu’il soit traduit également en français ; il sera donc bilingue. Cependant, j’ai exigé que le texte original et la traduction soient face à face ; je ne voulais pas que la première partie soit en occitan, et la seconde en français. Je veux ainsi aider les jeunes apprenants en occitan : s’il leur manque la traduction d’un mot, ils la trouveront sur la page d’à-côté. 

Je joue sur les deux langues en même temps. Pour l’instant, dans l’état actuel des choses, je ne peux pas publier uniquement en occitan. Et cela me navre. 

CHEMINEZ : Quel est votre rapport au français ? Est-ce que pour vous c’est une langue belle et riche ? On vous pose cette question parce que des locuteurs autochtones disent préférer le breton, le basque, parce qu’elles seraient plus riches que le français. Est-ce que c’est un sentiment que vous partagez ? Ou est-ce que vous estimez que le français a également sa richesse, poétique, syntaxique, sémantique ? 

JOSIANE : Mon occitan est plus riche que mon français pour décrire ma culture et mes paysages, de la même façon que le Sahara est totalement descriptible uniquement dans la langue arabe. Même si un voyageur anglais tombe amoureux du désert, il n’aura pas le vocabulaire suffisant pour le décrire dans sa langue maternelle. Un paysage est toujours lié à une langue, une population, une culture. C’est quelque chose que je constate en occitan notamment pour le lexique de la vigne et de l’olivier. 

« Un paysages est toujours lié à une langue« 

Cependant, je ne me revendique ni monolingue ni monoculture ; je ne fais pas l’erreur des jacobins. J’ai deux cultures ; je tiens à la langue et à la culture françaises. Je visite tous les musées de France et de Navarre, je vais à toutes les expositions, j’apprécie tous les paysages. Quand je vais dans le Val-de-Loire, je suis subjuguée par la lumière et par les châteaux de la Loire. Se recroqueviller sur sa langue autochtone est pour moi une erreur. 

La tentative de l’état jacobin d’éradiquer nos langues autochtones pour les supplanter par le français est à la fois une malédiction et une bénédiction. Une malédiction, parce que cela s’est accompagné de souffrances, et une bénédiction, parce que nous sommes devenus bilingues. 

Or, le monolinguisme est un handicap par rapport au bilinguisme – et à fortiori au trilinguisme. Les scientifiques ont mis en évidence l’incompétence congénitale qu’ont les francophones monolingues à apprendre d’autres langues. Quand on est bilingue, on a plus de facilités pour en apprendre plusieurs. 

En outre, le monolinguisme a des conséquences neurologiques : par exemple, les bilingues peuvent faire deux actions en même temps alors que le monolingue non ; lorsque vous faites écouter une langue étrangère à un bilingue, il parviendra à détacher les mots, tandis que pour le monolingue, ce sera qu’une bouillie de sons. C’est pour ça que je dis qu’être monolingue, c’est un handicap. C’est un handicap typiquement français.

Personnellement, je n’ai jamais appris l’espagnol et l’italien – j’avais étudié l’anglais et l’allemand ; mais être bilingue français-occitan me permet aujourd’hui de comprendre pleinement le catalan, l’espagnol et l’italien. En tant que lexicographe, je travaille toujours avec tous les dictionnaires des langues romanes ; j’ai des dictionnaires italien, corse, catalan et espagnols – en revanche, je n’ai pas de dictionnaire portugais, parce que c’est une langue un peu à part. 

2 réponses à « Occitan : « On est des délinquants si on a un accent aigu ou un ñ dans notre prénom », interview de Josiane Ubaud (PARTIE 2) »

  1. Merci pour cet engagement en faveur de nos diversités culturelle et linguistique, ainsi que de la richesse qui les accompagne.
    Je souhaitais toutefois attirer votre attention sur un élément de vocabulaire qui revient plusieurs fois dans l’interview : la référence au jacobinisme. Ayant moi-même dans le passé utilisé ce mot assez abondamment, je me sens d’autant plus concerné. Les travaux de l’historien Philippe Martel ont démontré que les mots « jacobin » et « jacobinisme » sont régulièrement utilisés, pour parler d’un centralisme sectaire, de façon abusive. Ces termes sont devenus des facilités de langage, mais n’en sont pas moins erronés. Je vous renvoie à un article très détaillé de Philippe Martel, publié notamment sur le site de la Fédération des Enseignants de Langue et de Culture d’Oc : https://www.felco-creo.org/31-07-23-pour-en-finir-avec-le-cliche-jacobinisme-une-reflexion-de-philippe-martel-historien/

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    1. Merci Philippe pour votre commentaire et toutes ces précisions. Ce média se veut aussi un espace d’échanges de connaissances et d’expériences autour de nos langues et de nos cultures pour enrichir les réflexions de chacun, lecteurs comme journalistes, sur ces thématiques.

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