Le 30 octobre 2023, Emmanuel Macron a inauguré la Cité Internationale de la Langue Française, au château de Villers-Cotterêts. Un événement qui, pour certains de nos concitoyens, peut paraître anecdotique compte tenu de l’actualité brûlante, notamment à cause de la Guerre au Proche-Orient. Pourtant, certaines déclarations du Président de la République méritent que l’on s’y attarde. 

Mais tout d’abord, un peu de contexte. La Cité Internationale de la Langue Française est un projet qu’Emmanuel Macron porte depuis la campagne présidentielle de 2017. Avec cette Cité, l’actuel président se lance dans un projet culturel dans la droite lignée de la Pyramide du Louvre de François Mitterrand et le Musée des Arts Premiers du Quai Branly de Jacques Chirac – après deux quinquennats sans projet culturel. 

Le choix de ce lieu pour accueillir la Cité est éminemment symbolique, puisque c’est au Château de Villers-Cotterêts (Hauts de Seine) que le roi François Ier signe l’Ordonnance du mois d’août 1539 qui impose que les documents officiels du Royaume « soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français, et non autrement« .

La Cité Internationale de la Langue Française propose plusieurs parcours autour de l’Histoire de notre langue, des expositions temporaires, des cabinets d’études à destination des linguistes, des librairies, etc. Alors qu’en 2050, on estime à 715 millions le nombre de locuteurs francophones (soit 8% de la population mondiale), cette inauguration de la Cité Internationale de la Langue Française semble on ne peut plus actuelle. 

Pourtant, le discours d’inauguration qu’a prononcé Emmanuel Macron est loin d’avoir fait l’unanimité. D’une durée de 57 minutes, et placé sous l’égide de grands écrivains, comme Joachim Du Bellay, Gérard de Nerval et Alexandre Dumas, le discours du Président rappelle l’habituel « en même temps macronien ».

Tout d’abord, on peut être tenté d’applaudir la volonté du Président de la République « que les langues régionales soient encore mieux enseignées », rappelant au passage qu’« il y aura toujours de multiples langues dans la République et une langue de la République » ; mais ce serait oublier que la majorité présidentielle a retoqué la loi Molac lors de son premier quinquennat, en interdisant l’enseignement immersif en langue régionale. Michel Blanquer, à l’époque ministre de l’Éducation nationale, craignait alors que l’enseignement immersif ne favorise le séparatisme, menaçant ainsi l’unité de la nation, nonobstant toutes les études sur le sujet qui démontrent le contraire

De plus, s’il garantit que « toutes les langues sont égales du point de vue de la dignité », il érige le français en « langue de la liberté ». Ce faisant, ne se place-t-il pas dans les pas de l’Abbé Grégoire, qui voyait dans la langue française l’idiome de la liberté et de la Révolution, raison pour laquelle il a rédigé un Rapport sur la nécessité d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ?

Le discours d’Emmanuel Macron n’a pas manqué de faire réagir au sein de la classe politique, notamment Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France Insoumise, qui oppose à la conception présidentielle du français celle d’une langue « créolisée » : « La langue française est une invention politique et un produit de la créolisation. Elle s’est enrichie de mots grecs, latins, et du vocabulaire des métiers.»

De son côté, le maire Les Républicains et membre honoraire du Parlement Jacques Myard a conspué Emmanuel Macron, dont il dénonce l’hypocrisie. 

Le 5 novembre 2023, dans une chronique pour France Info, le politologue et spécialiste de la rhétorique Clément Viktorovitch a condamné un passage du discours d’Emmanuel Macron : 

« Le Président Macron n’a jamais osé rouvrir frontalement le dossier de la colonisation. Pire : il vient d’ouvrir à Villers-Cotterêts la Cité Internationale de la Langue Française. À cette occasion, il a prononcé la phrase suivante : « Tous les discours de décolonisation n’ont-ils pas été pensés, écrits et dits en français ? » D’accord. Et tous les autres ? Ceux qui ont été pensés, écrits et dits en arabe, en indonésien, en shikomori, en anglais ? C’est la définition même d’un tabou, sinon même d’un déni colonial. » 

Par ailleurs, alors qu’Emmanuel Macron concède « la plus vaste capitale francophone du monde aujourd’hui, celle où le français compte le plus grand nombre de locuteurs, n’est pas Paris, mais Kinshasa », l’absence de représentants de la francophonie africaine a énormément été commentée. Dans un édito publié dans Jeune Afrique, l’éditorialiste français-burkinabè Damien Glez note :

« Les journalistes ne peuvent s’empêcher d’évoquer les relations diplomatiques houleuses que Paris entretient actuellement avec certaines nations du continent plus francophones que francophiles, en particulier en Afrique de l’Ouest. » 

Questionnant la pertinence du projet, l’écrivain haïtien et académicien Dany Laferrière, présent lors de l’inauguration, s’est également montré très critique vis-à-vis du discours d’Emmanuel Macron et de la Cité Internationale de la Langue Française :

« Je ne pense pas qu’on ait gardé le français, comme si ce français appartenait à quelqu’un d’autre, qui nous l’aurait donné, permis. Je pense qu’on parle une langue, tout simplement. Vous savez, les humains parlent. S’il n’y avait pas de langue, ils auraient trouvé un moyen de parler. Je crois qu’on accorde trop d’importance à la langue, pas assez à la parole. On accorde trop d’importance à la manière de dire, pas assez à ce qu’on a à dire. Le fait même de la colonisation, c’est qu’on soit toujours en train d’expliquer dans quelle langue on écrit, pourquoi on écrit dans cette langue. Jamais on ne nous parle de ce qu’on écrit. »

Enfin, le poète sénégalais Amadou Lamine Sall, dont Léopold Sédar Senghor faisait l’éloge, s’est lui aussi exprimé à la suite du discours d’Emmanuel Macron ; regrettant la fermeture des Alliances Françaises par le gouvernement et la réduction des budgets alloués à la francophonie, le poète déplore une « francophonie en panne ». Annonçant qu’une « réforme de la francophonie » est la condition sine qua non pour que le président « rentre dans l’Histoire », le poète remarque que la francophonie a besoin de ses artistes, qui ne peuvent pas circuler dans l’espace francophone. Avant de conclure : « Il faut que le français cesse d’être politique et devienne culturel. »

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3 réponses à « Langue Française : Macron perd la trace de François Ier à Villers-Cotterêts (ÉDITO) »

  1. La soumission humiliante des présidents français entraînera, directement ou indirectement, une faiblesse majeure de la langue française.

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    1. Bonjour Mustapha,

      De nombreux hommes politiques français se rangent de votre avis et condamnent l’hypocrisie d’un président qui prétend défendre la langue française tout en vantant la « start-up nation ».

      On espère que ce premier édito de Cheminez vous a intéressé.

      Bien cordialement,

      La rédaction de Cheminez.

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  2. Je veux dire la soumission aux présidents américains

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