2023 aura été une année particulièrement riche pour les amateurs de cinéma d’animation (SuzumeThe First Slam DunkSpider-Man : Across the Spider-verse, …). Mais rares sont les films qui auront fait couler autant d’encre et susciter autant d’impatience que Le Garçon et le Héron, qui sortira en salles ce mercredi 1er novembre. 

L’impatience qu’a suscitée Le Garçon et le Héron n’est évidemment pas étonnante quand on considère qu’il s’agit du nouveau film de Hayao Miyazaki, le maître de l’animation japonaise à qui l’on doit, entre autres chefs-d’oeuvre, Mon Voisin Totoro (1988), Princesse Mononoké (1997) ou encore Le Voyage de Chihiro (2001) – surtout si l’on considère que ce douzième long-métrage est son premier depuis dix ans, puisqu’il avait annoncé prendre sa retraite après la sortie du magnifique Le Vent se lève (2013). 

Mahito dans Le Garçon et le Héron

Premier réalisateur à gagner l’Oscar du Meilleur film d’animation avec Le Voyage de Chihiro (2001) – également lauréat du prestigieux Ours d’Or au Festival de Berlin -, Hayao Miyazaki est considéré comme une légende vivante aussi bien dans son pays d’origine que dans le reste du monde

Hayao Miyazaki et le studio Ghibli[1] sont d’autant plus importants aux yeux du public qu’ils font figures de résistants dans un monde où l’animation générée par ordinateur fait loi depuis Toy Story (1995). En effet, Ghibli privilégie les films d’animation en 2D et les dessins peints à la main, et ce alors que d’autres studios de « japanimation » cèdent de plus en plus aux sirènes de la 3D, comme l’illustrent les productions du studio MAPPA ou de Toei Animation. 

Dessinateur surdoué, capable de reproduire de mémoire les décors les plus complexes[2], Hayao Miyazaki est surtout un formidable auteur. Bien évidemment, quand on parle du metteur en scène, on songe aux nombreux thèmes qui traversent son œuvre depuis les années 1970 : l’antimilitarisme, le féminisme, l’écologie, l’aviation.

Chihiro et Haku dans Le Voyage de Chihiro

On songe également à ses inspirations européennes. Ainsi, dès son premier long-métrage, Le Château de Cagliostro (1979), il profite d’une aventure inédite de Lupin III – personnage très populaire de l’animation japonaise – pour proposer une relecture de La Bergère et le Ramoneur (1952), brouillon aujourd’hui méconnu en France du Roi et l’Oiseau (1980) de Paul Grimaud et Jacques Prévert.

Quand il ne s’inspire pas de pays européens, comme l’Italie fasciste dans Porco Rosso (1992), il adapte très librement des classiques de la littérature européenne. Ainsi, Le Voyage de Chihiro (2001) est une transposition japonaise et shintoïste d’Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll, tandis que Le Château dans le ciel (1986) intègre l’un des axes principaux des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift. 

Surtout, Hayao Miyazaki se livre beaucoup dans ses films. Ainsi, la mère malade de Mei et Satsuki, les adorables fillettes de Mon Voisin Totoro (1988), évoque bien sûr sa propre mère, malade de la tuberculose. Son histoire familiale est également au cœur de son avant-dernier film, Le Vent se lève (2013), inspiré de la vie de Jiro Horikoshi, le concepteur de l’Avion Zero de Mitsubishi, utilisé par les kamikazes pendant la Seconde Guerre Mondiale. Comment ne pas voir un parallèle avec son propre père, Katsuki Miyazaki, directeur d’une entreprise d’aéronautique sous-traitée par Mitsubishi ? Et comment ne pas retrouver la figure maternelle dans Nahoko, qui meurt de la tuberculose ? 

Nahoko dans Le Vent se lève

On remarque par ailleurs que l’œuvre cinématographique de Hayao Miyazaki est traversée par un double-mouvement intérieur.

D’abord, on peut (grossièrement) diviser sa carrière en deux parties, à peu près égales : des séries qu’il a animées ou réalisées pour des grands studios d’animation pendant les années 1970 et 1980 à ses premiers longs-métrages (Le Château de CagliostroNausicaä de la Vallée du VentLe Château dans le cielKiki la petite sorcièrePorco Rosso)[3], on note des inspirations avant tout européennes, aussi bien dans les œuvres de référence choisies que dans les lieux où se déroule l’action de ces histoires

Dans la seconde moitié de son œuvre, il s’empare presque exclusivement de sujets japonais – hormis dans Le Château ambulant (2004). En 1997, il nous plonge dans l’ère Muromachi (1336-1576) avec Princesse Mononoké (1997), avant de s’intéresser aux Yōkai shintoïstes dans Le Voyage de Chihiro (2001). Si Ponyo sur la falaise (2008) peut être vu comme une relecture japonaise de La Petite sirène d’Andersen, ce film pour enfants s’intéresse davantage aux bouleversements que l’économie capitaliste a amenés dans les comportements des Japonais avec leur environnement. Enfin, Le Vent se lève (2013), malgré son titre emprunté à un poème de Paul Valery (Le cimetière marin), nous plonge dans plus de vingt ans d’Histoire du Japon, à travers les yeux de Jiro Horikoshi. 

San (à gauche) et Ashitaka (à droite) dans Princesse Mononoké

On note que plus Hayao Miyazaki se plonge dans l’Histoire japonaise, plus il se raconte lui-même, avec en creux son histoire familiale. Ainsi, Le Vent se lève (2013) est l’occasion pour le metteur en scène de se confronter à l’un des principaux paradoxes de son existence : lui, l’artiste habité par les idéaux les plus pacifistes et humanistes, doit gérer l’héritage d’un père qui, travaillant pour l’entreprise Mitsubishi pendant la Seconde Guerre Mondiale, a participé (même indirectement) à la conception de l’avion des kamikazes. 

Le Garçon et le Héron participe de ce double-mouvement introspectif. Le film raconte l’histoire de Mahito, un jeune garçon de 12 ans, contraint de quitter Tokyo pendant la Seconde Guerre Mondiale après le décès de sa mère Hisako, morte dans un hôpital en flammes. Exilé dans la campagne japonaise dans la demeure de la nouvelle femme de son père, Natsuko – qui n’est autre que la tante maternelle du jeune garçon. Mais les jours de Mahito seront loin d’être tranquilles, puisque dès son arrivée, il recevra les visites intempestives d’un étrange héron cendré. 

Bien évidemment, au visionnage de ce long-métrage, certains motifs que nous avons mis en évidence plus haut sauteront au visage de nos plus fidèles lecteurs. Hisako, la mère de Mahito enfermée dans un hospice rappelle, une fois encore, la mère de Miyazaki. Quant au père de Mahito, même si son entreprise n’est pas nommée dans le long-métrage, on comprend rapidement qu’il travaille dans l’aéronautique et qu’il a un poste décisionnaire

Himi dans Le Garçon et le Héron

Il y aurait bien sûr énormément de choses à dire sur Le Garçon et le Héron. On pourrait revenir sur ses immenses qualités formelles (chaque plan est une œuvre d’art), sur comment il nous rappelle que la quasi-entièreté de la filmographie de Miyazaki est habitée par la question de la mort, ou sur la réflexion du cinéaste (peut-être pas aussi claire que dans Le Voyage de Chihiro) sur l’Au-Delà. Une confusion à la fois héritée du processus créatif de Hayao Miyazaki, qui écrit son histoire en même temps qu’il conçoit ses séquences, mais également de l’ouverture du Japon sur l’Occident durant l’ère de la restauration Meiji (1868-1912) – qui a son importance dans Le Garçon et le Héron

Toutefois, Cheminez étant un média s’intéressant aux langues et aux cultures d’ici et d’ailleurs, nous avons décidé de nous concentrer sur un élément que le public francophone ne connaissant (presque) rien du japonais ne pouvait que louper : le soin tout particulier que Hayao Miyazaki a eu pour nommer ses personnages féminins. 

Mais d’abord, une information liminaire : le système d’écriture japonais est basé sur les kanji, des idéogrammes issus de l’écriture chinoise, et deux syllabaires – les hiragana, utilisés notamment pour la grammaire japonaise, et les katakana, utilisés entre autres pour les mots d’origine étrangère et pour certains prénoms.

Natsuko dans Le Garçon et le Héron

Nous l’avons vu, dans Le Garçon et le Héron, la mère et la tante de Mahito s’appellent respectivement Hisako et Natsuko. Ces deux personnages partagent un point commun avec les autres figures maternelles de l’œuvre de Hayao Miyazaki : Nahoko (Le Vent se lève) et Yasuko (Mon voisin Totoro). Chacun de ces quatre personnages portent un nom qui se termine avec le son ko. Un clin d’œil évident au prénom de la mère de Hayao Miyazaki : Yoshiko (良子). 

Toutefois, la tante de Mahito, bien qu’elle ressemble parfaitement à sa sœur, est en vérité plus proche de Yoshiko Miyazaki que ne l’est Hisako. Au même titre que Nahoko (菜穂子) et Yasuko (靖子), Hayao Miyazaki a écrit le nom de Natsuko en kanji : 夏子. Un égard auquel Hisako n’a pas eu droit puisque son nom s’écrit étrangement en katakana (ヒサコ).

Connaissant Hayao Miyazaki, il ne s’agit pas de simples détails onomastiques. D’autant plus que dans Le Garçon et le Héron, Mahito devra apprendre entre autres à dépasser son deuil et à considérer sa tante comme sa nouvelle mère

Yasuko dans Mon Voisin Totoro

Les exégètes de l’oeuvre de Miyazaki ont souvent fait un lien entre l’amour que le cinéaste portait pour sa mère et tous ses personnages féminins. Il est vrai, que de Nausicaä à Nahoko, en passant par San, Chihiro, Fio, Satsuki, Sophie, Ponyo, le maître de l’animation a toujours mis les personnages féminins au centre de ses histoires. Aussi, qu’elles soient femmes ou enfants, chacune représente un idéal. Par ailleurs, Yoshiko Miyazaki ne peut-elle pas s’incarner dans des figures enfantines, alors que le dernier kanji de son prénom, 子, signifie « enfant » ?

Si donc toute l’oeuvre de Hayao Miyazaki permet de raviver le souvenir de sa mère, on peut comprendre toutefois que ses films traitant du Japon soient ceux dans lesquels Yoshiko s’incarne le mieux. En prêtant à ses personnages féminins des prénoms japonais écrits en kanji (contrairement à Fio, Nausicaä et Sophie, écrits en katakana), l’auteur utilise la langue japonaise comme un terrain de jeu alchimique pour ressusciter sa chère disparue, comme Georges Perec avant lui (W ou le Souvenir d’Enfance) et Wajdi Mouawad (Mère) après.


[1] Le studio Ghibli a été fondé en 1985 par les réalisateurs Hayao Miyazaki et Isao Takahata (Le Tombeau des Lucioles), et le producteur Toshio Suzuki, suite au succès de Nausicaä de la Vallée du Vent.

[2] Selon les confidences de Toshio Suzuki dans le livre Studio Ghibli – Travailler en s’amusant.

[3] Hormis Mon Voisin Totoro.

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4 réponses à « Le Garçon et le Héron : la lettre d’amour et de douleur de Hayao Miyazaki (ANALYSE) »

  1. J’adore cet article et je vais le partager 🙂

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    1. Avatar de Lamia DIAB EL HARAKE
      Lamia DIAB EL HARAKE

      Bonjour Murielle.

      Merci beaucoup pour votre commentaire et votre fidélité.

      Effectivement, si l’article vous a plu et que vous le trouvez intéressant, n’ hésitez pas à le partager car ce média a besoin de vous!

      La rédaction de Cheminez.

      Aimé par 1 personne

  2. Même si je suis fan de films, je ne regarde pas de dessins animés.
    Après avoir lu l’article, je me suis intéressé à ce type d’étude.

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Lamia DIAB EL HARAKE
      Lamia DIAB EL HARAKE

      Bonjour Mustapha,

      Merci pour votre commentaire !

      Les films d’animation de Miyazaki sont destinés autant aux enfants avec l’esthétique et l’histoire qu’ils racontent mais aussi pour les adultes car les thèmes sont toujours très riches et profonds.

      Nous vous conseillons également les magnifiques Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké ou Le Vent se lève.

      La rédaction de Cheminez.

      Aimé par 1 personne

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