Fin 2023, la rédaction de Cheminez s’est entretenue avec Valérie Escarpit et Christiane Enjalbert pour discuter de leur engagement auprès de la communauté sourde, ainsi que de l’histoire de la langue des signes et de la culture sourde en France. Deux ans plus tard, Virginie Lanfranchi, psychologue utilisant la langue des signes française, a accepté de répondre à nos questions. Elle évoque les défis qu’elle rencontre dans son travail avec la communauté sourde et ceux que nous devons collectivement relever.

Propos recueillis par : Lamia DIAB EL HARAKE et Gaëtan DESROIS.


CHEMINEZ : Bonjour Virginie, pourriez-vous nous raconter votre parcours, et ce qui vous a conduit à proposer des accompagnements psychologiques en Langue des Signes Française ? 

Virgine LANFRANCHI : Je suis née sourde dans une famille sourde depuis trois générations. Chez nous, la langue des signes est notre langue maternelle. Très tôt appareillée, j’ai également appris à oraliser avec mes grands-parents paternels, entendants. Petite, j’étais heureuse, entourée d’amour, et je pensais que le monde des sourds était majoritaire.

C’est à l’école primaire que j’ai pris conscience que ma réalité était différente. J’étais la seule élève avec une famille sourde, y compris ma tante, qui était mon enseignante en langue des signes. Ma scolarité, de la maternelle au lycée, s’est faite en milieu oraliste. Ce cadre n’était pas confortable : lire sur les lèvres toute la journée était épuisant, et la communication avec les professeurs ou les familles entendantes d’élèves sourds était difficile, car personne ne signait.

À 18 ans, j’étais déjà engagée pour le bien-être des personnes sourdes et pour une meilleure accessibilité dans la société.

J’ai poursuivi mes études à l’université Paris 13, Villetaneuse, où j’ai pu bénéficier de la présence d’interprètes en langue des signes et d’une preneuse de notes. Ces cinq années ont été exigeantes : je devais, en plus des cours, retravailler le soir et le week-end pour synthétiser et compléter mes notes. J’ai ensuite suivi un master en psychologie clinique et en interculturalité, ce qui m’a permis d’approfondir la question du choc culturel et des traumatismes vécus par les personnes issues de minorités, notamment la communauté sourde. J’ai ainsi choisi de me spécialiser dans l’accompagnement psychologique en langue des signes, afin de lever les barrières linguistiques dans l’accès aux soins.

Une fois diplômée, j’ai ouvert un cabinet libéral à temps partiel et travaillé à mi-temps à l’Unité d’Accueil et de Soins en Langue des Signes (UASS) du CHU Purpan à Toulouse. J’y ai accompagné de nombreux patients sourds victimes de maltraitance scolaire (notamment en internat ou établissements spécialisés) ou familiale, souvent due au manque de communication liée à l’absence de langue des signes. Il faut savoir que plus de 90 % des enfants sourds naissent dans des familles entendantes, et que très peu de ces parents savent comment les accompagner. Beaucoup de ces enfants découvrent la langue des signes et la communauté sourde à l’âge adulte, vers 20 ou 30 ans. L’apprentissage de la LSF est souvent rapide, car c’est une reconnexion à leur identité « sourde ». J’ai d’ailleurs écrit plusieurs articles à ce sujet pour sensibiliser à l’importance de la langue des signes pour le développement psycho-affectif et la santé mentale des personnes sourdes.

En parallèle, j’ai pris conscience sur le terrain du manque criant de soins psychologiques accessibles aux personnes sourdes en France et dans les DOM-TOM. Dès 2007, de nombreux Sourds m’ont sollicitée pour ouvrir des consultations en visio, faute de pouvoir se déplacer. Cette idée était encore peu acceptée à l’époque par les professionnels de santé mentale, qui soulevaient des problèmes de sécurité et de confidentialité. Mais leur réticence masquait souvent une méconnaissance de la souffrance psychique des personnes sourdes isolées.

Face à cette réalité, j’ai fondé en 2010 l’association SOS Surdus, qui propose une plateforme nationale d’écoute et de soutien psychologique en langue des signes : www.sos-surdus.fr. J’ai formé des écoutants sourds bénévoles pour assurer une permanence accessible à distance. Il a fallu attendre la crise du COVID-19 pour que la permanence d’écoute en visio soit reconnue et subventionnée (par la Fondation de France, la mairie de Toulouse, l’ARS Occitanie, etc.). Cette période a marqué un tournant : le télétravail et les téléconsultations sont devenus la norme, offrant enfin un accès élargi pour les patients sourds.

Pendant mes 15 années au sein de l’UASS du CHU Purpan (Toulouse), à mi-temps, j’ai réalisé en moyenne 500 consultations par an, sans compter les réunions d’équipe et déplacements. Mais cela reste dérisoire face aux besoins. J’ai quitté le service en 2022, faute d’obtention d’un poste à temps plein malgré mes demandes répétées. Je me consacre désormais entièrement à mon activité libérale, pour accompagner en visio les personnes sourdes de toute la France et des DOM-TOM. Des conventions ont été mises en place avec certains établissements, notamment en Guyane, où il n’y a pas de psychologue sourd.

Aujourd’hui, ma mission reste la même : défendre l’accès aux soins psychologiques pour les personnes sourdes, en langue des signes, et militer pour une meilleure reconnaissance de leurs besoins spécifiques.

CHEMINEZ : La communauté sourde a-t-elle un accès suffisant aux suivis psychologiques en LSF ? Le nombre de médecins et de professionnels formés répond-il aux besoins exprimés par les personnes sourdes ? Quel est le coût moyen d’une séance et comment se répartit la prise en charge financière entre le patient et les dispositifs de solidarité nationale ?    

Virginie LANFRANCHI : Aujourd’hui, l’accès aux suivis psychologiques en Langue des Signes Française (LSF) reste très insuffisant. Il existe très peu de professionnels entendants ayant une bonne maîtrise de la LSF et encore moins de psychologues sourds (environ 10-12).

On en trouve principalement dans certaines UASS en LSF (Unités d’Accueil somatique et de Soins), 2 CMP LSF (Poitiers et Lyon) et 2 unités ambulatoires Santé Mentale LSF (Marseille et Lille), souvent rattachées à des CHU dans de grandes villes. Ces unités sont listées sur le site de la Société Française de Santé en Langue des Signes (SFSLS) : www.sfsls.fr.

On estime entre 80 000 et 100 000 personnes sourdes pratiquant la langue des signes en France. Et pourtant, il n’existe que 26 UASS sur tout le territoire. Le décalage entre l’offre et la demande est immense, et rend les soins inaccessibles ou très difficiles pour de nombreuses personnes. Cela crée une réelle inégalité d’accès aux soins psychologiques.

En libéral, il existe également quelques psychologues pratiquant en LSF, comme moi. Mais nous sommes peu nombreux, et la prise en charge financière est complexe. J’ai choisi de ne pas être conventionnée par la CPAM, notamment pour des raisons géographiques : mes patients sourds sont répartis dans différents départements, parfois très éloignés. Or, le dispositif de remboursement est mal conçu : un patient ne peut être remboursé que s’il consulte un professionnel conventionné dans son propre département, ce qui exclut beaucoup de situations.

Le tarif moyen pour une consultation psychologique est d’environ 70 euros de l’heure. La prise en charge peut être totale ou partielle, selon les cas :

  • Certaines mutuelles couvrent partiellement les consultations.
  • Des aides peuvent être sollicitées auprès de la MDPH, via la PCH (Prestation de Compensation du Handicap) ou le conseil départemental.
  • Dans certains cas, je rédige un courrier explicatif pour appuyer une demande d’aide financière exceptionnelle, notamment pour les patients sourds en situation précaire.

Mais tout cela dépend des départements et reste très variable. Cela crée des inégalités territoriales et laisse de nombreux patients sans solution adaptée.

CHEMINEZ : Quelles sont les problématiques de santé que vous observez le plus fréquemment au sein de la communauté sourde ? 

Virginie LANFRANCHI : Les problématiques de santé mentale les plus fréquentes chez les personnes sourdes sont très liées à leur parcours de vie, souvent marqué par des traumatismes précoces et une privation linguistique.

Parmi les troubles psychiques que je rencontre régulièrement, on peut citer :

  • le trouble de stress post-traumatique (TSPT) ;
  • la dépression ;
  • les troubles anxieux généralisés (TAG) ;
  • les troubles identitaires, liés au fait de se sentir « entre deux mondes » : le monde sourd et le monde entendant, sans reconnaissance pleine dans l’un ou l’autre.

Mais ces troubles sont souvent la conséquence directe de violences structurelles subies tout au long de la vie.

Un grand nombre d’enfants sourds naissent dans des familles entendantes qui, souvent par peur ou par désinformation, refusent de leur apprendre la Langue des Signes Française (LSF). Cela entraîne une privation linguistique, qui impacte profondément leur développement cognitif, social et affectif. Ces enfants se retrouvent dans l’impossibilité de communiquer avec leurs parents, ce qui provoque un sentiment d’abandon, de solitude, voire d’inexistence.

Cette privation s’accompagne parfois de maltraitance familiale, verbale ou psychologique, et d’un rejet implicite : l’enfant sourd est perçu comme incapable ou déficient. À l’école, dans les internats ou établissements spécialisés, certains ont été victimes de maltraitances physiques, psychologiques et sexuelles, parfois de la part de professionnels censés les protéger : coups, humiliations, attouchements, violences sexuelles, ou encore situations d’humiliation extrême.

De nombreux jeunes sourds ont également été dévalorisés scolairement, orientés systématiquement vers des filières courtes (CAP) ou vers des structures spécialisées comme les ESAT, alors qu’ils auraient eu le potentiel pour suivre des études. Ce manque d’ambition éducative est le fruit d’un regard social stigmatisant, qui réduit les sourds à leur handicap sans reconnaître leurs capacités.

Ces enfants devenus adultes se retrouvent souvent dépourvus des codes sociaux et des repères acquis naturellement chez les enfants élevés dans des familles signantes. Ils n’ont pas appris à décoder les règles implicites de la société, les lois, les normes relationnelles ou professionnelles, ce qui les expose à une vulnérabilité sociale, psychique et juridique.

CHEMINEZ : On parle de plus en plus de traumatismes transgénérationnels. Est-ce que vous avez été témoin de ce type de séquelles au sein de la communauté sourde, compte tenu de la répression qu’elle a subie pendant plusieurs siècles ?

Virginie LANFRANCHI : Oui, absolument. Mais il est important de distinguer deux types de traumatismes que je rencontre régulièrement dans la communauté sourde : les traumatismes collectifs et les traumatismes transgénérationnels.

▪️ Les traumatismes collectifs

Ils touchent l’ensemble de la communauté sourde. Ils sont liés à une histoire longue de répression de la langue des signes et de la culture sourde. Pendant des décennies, la société a imposé une vision oraliste de l’éducation des sourds : interdiction de signer, obligation de lire sur les lèvres, efforts constants pour oraliser. Cette idéologie a nié l’identité linguistique et culturelle des personnes sourdes, provoquant des traumatismes psychiques et identitaires profonds.

Ce rejet collectif de la langue des signes a laissé une empreinte durable dans les familles, les institutions et dans les représentations sociales. Il est encore visible aujourd’hui dans les politiques de santé, d’éducation ou de prise en charge.

▪️ Les traumatismes transgénérationnels

Ceux-ci s’observent dans les histoires familiales, en particulier dans la lignée des femmes sourdes. J’ai par exemple suivi une patiente, qui portait en elle une soumission transmise sur plusieurs générations. Sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère avaient toutes connu l’effacement, la dépendance, l’angoisse, parfois la maltraitance. Ce traumatisme de genre et de transmission familiale venait s’ajouter à son vécu de femme sourde, créant une double peine : être à la fois femme et sourde, dans une société qui marginalise ces deux identités.

Dans ce type de cas, on observe des schémas répétitifs : anxiété chronique, faible estime de soi, reproduction des silences familiaux, transmission inconsciente du mal-être. Ces récits font écho à des souffrances passées qui n’ont jamais été reconnues, ni nommées.

En conclusion, la plupart des personnes sourdes que j’accompagne portent une forme de double traumatisme : un traumatisme collectif, lié à l’effacement historique de leur langue et culture, et un traumatisme transgénérationnel, hérité des histoires familiales, souvent marquées par la privation, le silence ou la violence.

Ces réalités doivent être prises en compte dans l’accompagnement thérapeutique. Car comprendre les racines profondes de ces souffrances permet de redonner du sens, de réparer, et de redonner une place digne à chaque parcours.

CHEMINEZ : Qu’est-ce qui distingue le travail d’un psychologue ou d’un psychiatre dont la patientèle est entendante, d’un professionnel travaillant aux côtés de la communauté sourde ? Y a-t-il des spécificités culturelles particulières à prendre en compte ? 

Virginie LANFRANCHI : Oui, absolument. Le travail auprès de la communauté sourde est profondément linguistique et culturel. Il ne suffit pas d’être un bon clinicien : il faut aussi maîtriser la langue des signes et comprendre les spécificités de la culture sourde pour éviter les malentendus, les projections erronées et les erreurs d’interprétation.

Pour accompagner efficacement une personne sourde, un professionnel de santé devrait être bilingue français / langue des signes, avec un niveau suffisant (idéalement C1), ou bien travailler avec un interprète en langue des signes formé au domaine de la santé mentale, voire un intermédiateur sourd, pour faciliter la communication.

Or, beaucoup de professionnels entendants estiment encore aujourd’hui qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre la LSF. Certains pensent qu’avec de la patience, une relation thérapeutique peut se construire « naturellement », d’autres supposent qu’un échange oral suffira. Ces postures sont problématiques. Elles ignorent la réalité linguistique du patient et créent des barrières d’accès au soin. Dans certains cas, elles peuvent même engendrer une violence symbolique, un sentiment d’incompréhension, voire une erreur de diagnostic ou de prise en charge.

Il est essentiel de rappeler que la relation thérapeutique repose d’abord sur une communication fluide et respectueuse. Un psychologue entendant n’imaginerait pas accompagner un patient parlant une autre langue sans traducteur ou sans en maîtriser les bases. Il devrait en être de même pour les patients sourds.

J’utilise très souvent des schémas, dessins, ou tableaux explicatifs. Ces outils visuels sont particulièrement efficaces pour les patients sourds, car ils permettent de synthétiser une problématique, de visualiser un fonctionnement psychique ou relationnel, et d’aider à la compréhension. C’est une aide précieuse pour que chacun puisse s’approprier son parcours thérapeutique.

Schéma publié par Virginie Lanfranchi sur sa page Facebook

Enfin, au-delà de la langue, il existe de véritables spécificités culturelles : rapport au corps, à l’espace, au regard, au silence, au groupe, à la famille, à l’autorité, etc. Travailler avec une personne sourde, c’est aussi reconnaître une culture à part entière, avec son histoire, ses luttes, ses codes, et ses blessures.

CHEMINEZ : Pourriez-vous nous détailler les différentes activités que vous proposez à vos patients ? 

Virginie LANFRANCHI : En tant que psychologue clinicienne en libéral, j’ai développé une approche spécifique et adaptée aux besoins des personnes sourdes, qui repose sur l’accessibilité totale en santé mentale, en particulier en Langue des Signes Française (LSF).

Je propose plusieurs types d’interventions en LSF :

  • Entretiens cliniques et évaluations psychologiques ;
  • Suivis psychothérapeutiques individualisés, en présentiel ou en visio, selon les besoins du patient ;
  • Accompagnement à l’orientation, notamment pour des jeunes en difficulté, des personnes en situation de souffrance sociale, ou en recherche de solutions adaptées à leur situation ;
  • Ateliers de communication bienveillante, ouverts aux :
    • Parents sourds ou entendants d’enfants sourds ou entendants ;
    • Professionnels sourds en lien avec le secteur éducatif, social ou de la santé.

J’organise également des conférences autour de thématiques spécifiques à la surdité, à la santé mentale, à l’identité sourde ou aux violences institutionnelles. Ces conférences sont souvent l’occasion de sensibiliser et d’informer, aussi bien les professionnels que le grand public.

Mon objectif principal reste toujours le même : rendre les soins psychologiques accessibles à toutes les personnes sourdes, qu’elles vivent en ville ou dans des zones isolées, en France ou dans les DOM-TOM. Cela passe par des consultations à distance, un travail de sensibilisation, et des outils concrets et visuels adaptés à leur langue et à leur culture.

CHEMINEZ : Quels seraient selon vous les principaux axes d’amélioration possibles pour rendre plus efficace la réponse apportée aux besoins en santé mentale exprimés par la communauté sourde au niveau national ? 

Virginie LANFRANCHI : Il est fondamental de reconnaître pleinement la surdité comme une réalité linguistique et culturelle, et non uniquement comme un handicap à « corriger ». Trop souvent encore, les politiques publiques partent du principe que l’enfant sourd peut « devenir entendant », grâce à des aides techniques (appareillage, implant cochléaire). Or, un enfant sourd restera sourd, même avec les meilleures technologies. Ce n’est pas un échec : c’est une identité.

Le concept de « Deafhood », élaboré par le chercheur britannique Paddy Ladd, résume très bien cette approche. Il s’agit de valoriser l’expérience sourde, de reconnaître la langue des signes comme fondatrice d’une identité positive, et de sortir du modèle médical de la surdité.

À partir de ce constat, je propose trois grands axes de transformation pour améliorer la réponse aux besoins en santé mentale des personnes sourdes :

1. Inscrire la Langue des Signes Française (LSF) dans la Constitution

La LSF est une langue à part entière. Elle doit être reconnue non seulement symboliquement, mais juridiquement, comme une langue de la République. Cela garantirait un accès égal aux droits, à l’éducation, à la justice, à la santé, et protégerait la communauté sourde de discriminations structurelles.

2. Développer un véritable enseignement bilingue (français écrit / LSF)

Dès la maternelle et tout au long du parcours scolaire et universitaire, les enfants sourds devraient avoir accès à une éducation bilingue de qualité. Cela signifie :

  • Enseignants formés en LSF ;
  • Matériel pédagogique visuel adapté ;
  • Possibilité de suivre des cursus jusqu’à l’université avec accompagnement linguistique.

Ce modèle favoriserait le développement cognitif, social et émotionnel des enfants sourds, et réduirait considérablement les troubles psychiques liés à la privation linguistique.

3. Former et sensibiliser les professionnels de santé et les parents dès la maternité

Il est essentiel de former les professionnels de santé à la culture sourde et à la LSF, en particulier dans les services de maternité, où tout commence. Les parents entendants doivent être informés dès le diagnostic de surdité sur :

  • l’existence de la langue des signes ;
  • ses bénéfices pour le développement de l’enfant ;
  • les risques liés à l’isolement et à la privation de communication.

Cette sensibilisation précoce permettrait de réduire les maltraitances linguistiques et psychologiques, souvent commises par ignorance, mais aux conséquences durables.

En somme, il s’agit de reconnaître que les souffrances de la communauté sourde sont la conséquence de politiques inadaptées ou d’un manque de formation. En agissant à la racine — la langue, l’école, la santé — on peut profondément changer les choses.

CHEMINEZ : Nous avons vu que vous proposiez des conférences. Quelles sont vos autres activités et engagements pour la communauté sourde ? 

VIRGINIE LANFRANCHI : Oui, je donne régulièrement des conférences partout en France, spécifiquement conçues pour le public sourd, afin d’informer, de sensibiliser et de libérer la parole autour de la santé mentale. Ces rencontres permettent d’aborder des sujets comme la dépression, les traumatismes, les violences institutionnelles, les troubles identitaires ou encore l’importance de la langue des signes dans le parcours de soins.

Je propose également des formations universitaires et professionnelles en psychologie, dispensées directement en LSF, sans interprète. Cela permet une meilleure compréhension des contenus pour les étudiants ou professionnels sourds, tout en réduisant les coûts pour les établissements (pas de frais d’interprétation).

Ces formations ont été proposées dans plusieurs structures :

  • Universités : Paris 8, Grenoble-Stendhal, Toulouse Jean Jaurès ;
  • Association ou entreprise : Visuel LSF, STEUM, SOS Surdus, etc.

Cette transmission directe est essentielle pour former une nouvelle génération de professionnels sourds compétents dans le domaine de la santé mentale.

Je suis également engagée dans plusieurs groupes de réflexion et de travail pour améliorer l’accessibilité en santé mentale pour la communauté sourde. Parmi eux :

  • Groupe Addiction & Surdité (pendant 3 ans) : réflexion sur l’accompagnement des personnes sourdes confrontées aux addictions.
  • Dispositif national 3114 (pendant 2 ans) : ligne d’écoute pour la prévention du suicide, avec des réflexions sur son adaptation en LSF.

Je considère que ma mission n’est pas terminée. Il reste encore beaucoup à faire pour que la santé mentale soit réellement accessible à la communauté sourde, dans le respect de sa langue et de sa culture. Tant que des patients sourds devront encore lutter pour être entendus, accompagnés, ou simplement compris, je continuerai à m’engager sur le terrain, en clinique, en formation, et dans les politiques publiques.

En conclusion, mon engagement, à travers toutes mes actions — clinique, associative, pédagogique ou militante — vise à réduire les troubles provoqués par les institutions elles-mêmes : éducation, santé, justice… Trop souvent, ce sont ces structures censées protéger qui génèrent la souffrance, par ignorance de la langue des signes, par manque de formation à la culture sourde, ou simplement par refus de s’adapter.

Ce que je souhaite profondément, c’est consolider le bien-être psychologique des personnes sourdes, en leur donnant accès à un accompagnement digne, respectueux, et sans « double peine » : être sourd ne devrait jamais être un facteur de vulnérabilité supplémentaire dans l’accès aux soins.

Comme le disait Christophe André : « Ce n’est pas l’individu qui est inadapté, c’est la société qui ne s’adapte pas à la diversité des individus. »

Et pour finir, une citation de Boris Cyrulnik, qui résume bien le cœur de mon travail : « La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents. »

Accompagner les personnes sourdes dans ce chemin de résilience, c’est leur offrir enfin un espace où leur langue, leur identité et leur souffrance sont pleinement reconnus.


2 réponses à « Psychologie : « Il faut reconnaître la langue des signes comme fondatrice d’une identité positive » (Virginie Lanfranchi) »

  1. Avatar de duckjoyfully5b448722eb
    duckjoyfully5b448722eb

    laisser un commentaire est trop compliqué , donc impossible ! une marche à suivre en anglais pour le mot de passe est décourageant et rédhibitoire !

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    1. Bonjour Catherine,

      Nous sommes désolés de votre expérience. Malheureusement, les difficultés liées aux commentaires sont indépendantes de notre volonté ; WordPress a décidé qu’il était nécessaire d’avoir un compte chez eux pour s’exprimer en commentaire.
      Quoi qu’il en soit, nous sommes ravis que vous ayez finalement réussi à vous connecter pour commenter. On espère avoir votre opinion sur les propos de Virginie Lanfranchi. Nous avons à coeur d’écouter l’avis de nos lecteurs.

      Bien cordialement,

      La rédaction de Cheminez.

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