Du 12 au 18 août 2024, la cinquante-troisième édition du célèbre Festival Interceltique de Lorient animera la ville portuaire bretonne. Un rendez-vous immanquable pour les amoureux de musique celtique. De nombreux artistes venus de tous les Pays Celtes viendront jouer de la musique dans un cadre festif. La diffusion en direct de la Grande Parade des Nations Celtes sur France 3 le jeudi 15 août 2024 permettra aux téléspectateurs de découvrir musiques, danses et costumes traditionnels. À cette occasion, nous avons désiré vous proposer une sélection de dix albums de musique bretonne, afin de vous montrer toute sa diversité. Bonne écoute !
#1 E Langonned, d’Alan Stivell (1974)
Après avoir électrisé le public de l’Olympia en 1972, au cours duquel il a amené la musique bretonne et celtique dans la modernité en lui apportant une dimension rock inédite, Alan Stivell est revenu à un son plus acoustique et traditionnel avec E Langonned (en français, « À Langonnet »). Chantant en breton, en gaélique et en gallois, le barde breton rappelle qu’il est un multi-instrumentiste extrêmement talentueux, alternant harpe celtique, cornemuse écossaise, bombarde bretonne et flûte irlandaise.
Plus encore que dans ses autres albums plus connus, Alan Stivell montre toute la diversité de la musique celtique. Tantôt mélancolique et poétique, tantôt dansant et festif, E Langonned a tout du best-of du monde celte : des gwerz bretonnes du Barzaz Breizh à un pont musical composé de plusieurs danses bretonnes et gaéliques, en passant par un poème de Yann-Ber Kalloc’h et une chanson traditionnelle galloise, l’album nous fait voyager à travers les pays Celtes. Avec un style plus épuré que d’habitude, le chanteur-musicien montre la voie pour des générations entières de jeunes bretons qui voudraient se lancer après lui sur les chemins de l’interceltisme. Un chef-d’œuvre !
#2 La Découverte ou l’Ignorance, de Tri Yann (1976)
Formé en 1969, les Tri Yann An Noaned (« Les Trois Jean de Nantes »), rebaptisés par la suite Tri Yann, est assurément l’un des groupes bretons les plus populaires. Dans le sillage d’Alan Stivell, le groupe est devenu l’un des grands acteurs de l’interceltisme, en mettant à l’honneur un répertoire en breton, en gallo (l’autre langue régionale de la Bretagne), en français, en anglais, en gaélique. En 1976, Tri Yann sort l’un de ses albums les plus importants : La Découverte ou l’Ignorance.
Intégrant pour la première fois une guitare électrique et une batterie aux cotés d’instruments traditionnels, confirmant l’intuition de Stivell d’une musique bretonne capable de relever le défi de la modernité, Tri Yann nous offre un album à la fois festif, dansant, nostalgique, engagé et érudit. On y trouve par exemple l’adaptation musicale d’un poème médiéval du poète breton Jean Meschinot (Princes qu’en mains tenez), une adaptation à la guitare d’un classique du harpiste irlandais Turlough O’Carolan composé au XVIIème siècle (Mrs Mac Dermott), un cantique sur la conscription de 300 000 hommes décidée par la Convention le 2 mars 1793, qui a provoqué la Guerre de Vendée (Galvadeg en Tri Kant Mil Soudard, « La Levée des 300 000 hommes »).
L’album se termine par La Découverte ou l’Ignorance, dans lequel Jean-Louis Jossic lit un extrait de Comment peut-on être breton ? – Essai sur la démocratie française (1970) du journaliste Morvan Lebesque. Un texte fondamental sur l’identité, le régionalisme, l’Histoire française, la construction de l’État. « J’ai longtemps ignoré que j’étais breton. Français sans problème, il me faut donc vivre la Bretagne en surplus – ou pour mieux dire en conscience. Si je perds cette conscience, la Bretagne cesse d’être en moi. Si tous les Bretons la perdent, elle cesse absolument d’être. La Bretagne n’a pas de papiers. Elle n’existe que si à chaque génération, des hommes se reconnaissent Bretons. À cette heure, des enfants naissent en Bretagne. Seront-ils bretons ? Nul ne le sait. À chacun, l’âge venu, la Découverte ou l’Ignorance. »
#3 Musique bretonne de toujours…, de Gwerz (1985)
D’origine bretonne, alsacienne et périgourdine, Érik Marchand découvre le kan ha diskan (un chant traditionnel breton à danser et à répondre) et les festoù-noz durant l’adolescence grâce à un disque que possédait son père. Il commence par enregistrer les chanteurs de sa famille, avant de rejoindre l’association de collectage Dastum en 1976. Après avoir appris la langue bretonne et l’art du kan-ha-diskan auprès de son « mestr » (maître) Manuel Kerjean, qui l’hébergeait dans sa ferme de la région de Rostrenen, Érik Marchand fait la rencontre du chanteur Yann-Fañch Kemener, et devient l’un des premiers chanteurs bretons professionnels. Il co-fonde au début des années 1980 le groupe le groupe Gwerz, dans lequel Marchand s’entoure de plusieurs musiciens du Centre-Bretagne et dont les deux albums ont exercé une influence majeure sur la chanson bretonne contemporaine.
Le premier album éponyme (parfois appelé Musique bretonne de toujours…), sorti en 1985, comporte huit titres, dont deux instrumentaux, où la voix se mêle à la bombarde, au biniou et au violon. Co-produit par Dastum, le disque reçoit des critiques particulièrement élogieuses, notamment de la part du journaliste Christian Dautel qui dans un article pour la célèbre revue bretonne ArMen écrit que « rarement, depuis les premiers disques de Stivell, un album aura tant apporté à l’élaboration d’une musique propre à la Bretagne ». Tirant pleinement profit « des structures complexes et des variations subtiles » permises par la musique modale – très utilisée par les musiques orientales, asiatiques, bretonnes et occitanes, mais ignorée par la musique savante occidentale – le son de Gwerz est « un carnaval nocturne de complaintes et de danses que l’on écoute la chair de poule le long des membres », pour reprendre la belle expression de l’écrivain Ronan Gorgiard.
#4 An Henchoù Treuz, d’Erik Marchand et Titi Robin (1990)
Après Gwerz, Erik Marchand continue son exploration de la musique bretonne avec l’album An Henchoù Treuz (« Les chemins de traverse », en français), et invite le guitariste Titi Robin à l’accompagner à l’oud oriental. Soulignant les liens entre la musique bretonne traditionnelle et la musique arabe, le mélange entre le chant breton et l’oud fonctionne à merveille, à tel point qu’on jurerait que certaines chansons ont été écrites pour être accompagnées par cet instrument.
L’album An Henchoù Treuz est une étape importante dans la carrière d’Érik Marchand, qui lui donnera une suite philosophique avec le projet An Tri Breur (« Les Trois Frères »), dans lequel le percussionniste rajasthanais Hameed Khan les rejoint. Il fondera ensuite en 2003 la Kreiz Breizh Akademi, un programme de formation consistant à transmettre les règles de la musique modale, et à repousser les frontières de la musique bretonne vers les musiques orientales et des Balkans. Le trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf et le joueur de oud franco-algérien Mehdi Haddab sont intervenus dans le cadre de ce projet passionnant.
#5 An den kozh dall, de Barzaz (1992)
Né dans sillage du groupe Gwerz d’Érik Marchand, Barzaz s’est formé au cours des années 1980 autour de la figure de Yann-Fañch Kemener, l’un des plus grands collecteurs de chansons bretonnes – tristement décédé en 2019 des suites d’une longue maladie. Celui qui a été l’un des acteurs majeurs du renouveau du kan ha diskan dans les années 1970 s’est entouré de musiciens talentueux, dont le flûtiste Jean-Michel Veillon et le guitariste Gilles Le Bigot. Après un premier album de gwerz intitulé Ec’honder (1989), dont le titre qui signifie « espace » en breton est une profession de foi, le groupe se lance dans la production de son second et dernier album, An den kozh dall (« le vieil homme aveugle »), qui met en avant des textes en relation avec le temps et l’Histoire bretonne.
La qualité du chant de Yann-Fañch Kemener, d’une force évocatoire inouïe, et les arrangements des musiciens sont remarquables. Mais il faut aussi mentionner le choix des gwerz et sonioù (chansons populaires) qui composent cet album de très haute facture. On songe notamment aux dansantes Koat-Houarn ha Fañchig bihan (« Koat-Houarn et le petit Fañch ») et Avanturio ar Citoaien Jean Conan (« Les Aventures du citoyen Jean Conan »), inspiré d’un chef-d’œuvre de la littérature populaire du XVIIIème siècle, dont le manuscrit oublié a été retrouvé au début du XXème siècle. Jean Conan, qui a été tour à tour pêcheur de morues à Terre-Neuve, marié à une Indienne, naufragé sur les glaces, révolutionnaire et tisserand, raconte ses nombreuses aventures dans une autobiographie versifiée.
#6 Héritage des Celtes, de Dan Ar Braz (1994)
Accompagnant Alan Stivell à la guitare dès la fin des années 1960, Dan Ar Braz est considéré dès les années 1970 comme l’un des 10 meilleurs guitaristes au monde, selon un classement du magazine britannique Melody Maker. Après une carrière solo prometteuse, le musicien et compositeur lance l’aventure Héritage des Celtes, un projet musical réunissant des chanteurs et musiciens venus de tous les pays Celtes (Bretagne, Irlande, Écosse, Pays de Galles, Galice, etc), et dont le succès les mènera au Zénith de Paris et à l’Eurovision pour représenter la France avec la chanson Diwanit Bugale (en français, « Que germent les enfants »).
Le premier album éponyme est composé de six chansons et six musiques instrumentales, et réunit les bretons Dan Ar Braz, Yann-Fañch Kemener et Gilles Servat, la chanteuse galloise Elaine Morgan, la chanteuse écossaise Karen Matheson, plusieurs musiciens irlandais et le Bagad Kemper. Nous vous recommandons vivement d’écouter le poème Me zo ganet e kreiz ar mor (« Je suis né au milieu de la mert ») du poète mystique Yann-Ber Kalloc’h, chanté par Gilles Servat et Yann-Fañch Kemener, ou encore Language of the Gaels de Karen Matheson, devenu depuis un hymne de ralliement pour les défenseurs de la langue gaélique écossaise.
#7 Lip ar Maout, du Bagad Kemper (1995)
Apparus dans les années 1930 et inspirés des pipe bands écossais, les bagadoù sont des ensembles musicaux bretons composés de trois pupitres : cornemuses écossaises, bombardes et percussions. Leur grande popularité a permis à certains de ces groupes de devenir les ambassadeurs de la culture bretonne à travers le monde, à la manière du Bagad de Lann-Bihoué – à qui Alain Souchon a rendu hommage dans sa chanson éponyme. Fondé en 1949 dans la ville de Quimper (Finistère), le Bagad Kemper est sans aucun doute l’un des plus importants bagadoù.
S’appuyant principalement sur les airs traditionnels des monts d’Arrée et du pays Pourlet, le Bagad Kemper est le détenteur du record du nombre de récompenses obtenues au Championnat des Bagadoù, qu’il a remporté à vingt-trois reprises. Le disque Lip ar Maout (« lèvre de mouton », en breton) illustre le talent et l’énergie communicative du bagad. La Suite d’airs à danser du pays de l’Oust et du Lié, qui ouvre l’album, nous plonge dans ces danses ancrées dans ce beau terroir. À écouter sans modération !
#8 Touche pas à la Blanche Hermine, de Gilles Servat (1998)
Depuis La Blanche Hermine, son premier album sorti en 1971, Gilles Servat est devenu l’une des grandes figures de la chanson française et bretonne. Connu autant pour sa voix de baryton chaleureuse que pour ses textes poétiques et engagés, le chanteur a fait de la défense des langues minoritaires l’un de ses grands combats politiques. « Les gens immobiles se taisent / La langue engourdie dans la bouche / Serrés autour de l’âtre où les braises / Rougeoient comme les tas de souches / Qu’on voit fumer sur le pays », chante-t-il dans L’Hirondelle. Il peint le portrait d’une Bretagne que la colonisation française et le capitalisme désirent transformer en « réserve d’Armoricains ».
En 1998, à l’apogée de son art, il se lance dans une tournée immortalisée par l’album-live Touche pas à la Blanche Hermine. Comprenant quelques-unes de ses plus grandes chansons, dont deux chantées avec le légendaire chanteur irlandais Ronnie Drew du groupe The Dubliners, Gilles Servat se montre tantôt tendre et élégiaque (« Chérissons les instants qui se meurent aussitôt / Et qu’on ne reverra plus jamais / Chérissons les instants qui se meurent aussitôt / Et qu’on ne reverra qu’au cimetière des photos », La Maison d’Irlande), tantôt révolté et incisif, comme dans son hymne révolutionnaire La Blanche Hermine (« Elle me dit que c’est folie / D’aller faire la guerre aux Francs / Je dis que c’est folie / D’être enchainés plus longtemps ».
Le disque est également l’occasion pour Gilles Servat de régler ses comptes avec certains militants d’extrême-droite qui ont utilisé La Blanche Hermine comme un hymne de ralliement : « Je suppose que ce qui vous plait dans cette hermine, c’est sa blancheur. Mais elle est blanche seulement. Ni bleue, ni rouge. Pas de quoi en faire un étendard pour ce qui vous tient lieu d’idées. Et si, comme c’est probable, cette couleur vous plait à cause d’une prétendue race que vous dîtes moins inégale que les autres, je vous signale que l’hermine a la queue noire. […] En fait de blanche hermine, la Bretagne a pour emblème un animal dont la couleur change avec les saisons. Si elle est blanche sur la neige, l’été sa robe devient marron, couleur la plus métisse qui soit. » Un album à écouter de toute urgence !
#9 Live holl a-grevet, de Denez Prigent (2002)
Depuis sa première apparition sur la scène des Transmusicales de Rennes, où il avait réduit à un silence d’église une foule d’amateurs de rock par la puissance de son chant traditionnel a-cappella, Denez Prigent est devenu l’une des plus grandes voix de la chanson bretonne. Spécialisé dans le genre de la gwerz, « ce style de chant issu de la rencontre entre le génie poétique des bardes gallois exilés […] avec celui des bardes bretons » (comme il le décrivait lui-même dans une interview passionnante publiée dans nos colonnes), Denez Prigent est passé maître dans l’art de mélanger un art traditionnel millénaire avec des sonorités électro et venues d’ailleurs.
Dans le disque Live holl a-grevet, enregistré au Festival de Lorient 2001, Denez Prigent interprète une dizaine de titres issus de ses albums Me ‘Zalc’h Ennon ur Fulenn Aour (1997) et Irvi (2000). Accompagné du bagad Roñsed-Mor, du sonneur de cornemuse Mickaël Cozien et du joueur de bombarde David Pasquet, Denez Prigent sublime son répertoire, dont la puissance évocatoire semble décuplée par l’énergie du live. Tandis que les gwerz Brall Ar Rodoù et Melezerioù Glav (« Les Miroirs de Pluie ») vous ébranleront, les chansons Evit Netra (« Pour rien ») et E Trouz Ar Gêr (« Dans le bruit de la ville ») vous donneront l’envie irrépressible de danser !
#10 Tre Tavrin ha Sant Vorant, de Louise Ebrel et Ifig Flatres (2004)
Les femmes ont joué un rôle important dans la chanson bretonne et de nombreux artistes de cette sélection se réclament de leur influence. On se souvient de Denez Prigent qui expliquait dans nos colonnes l’importance qu’ont eue sur sa carrière les sœurs Goadec ou encore Madame Bertrand. Née en 1932 à Treffin, Louise Ebrel est la fille d’Eugénie, l’une des trois sœurs Goadec. Si les amateurs de punk la connaissent pour ses prestations enflammées aux côtés des Ramoneurs de Menhir, elle est aussi l’une des grandes figures du kan ha diskan.
Accompagnée du chanteur Ifig Flatres, elle publie en 2004 Tre Tavrin ha Sant Vorant, « en l’honneur des moissonneurs et de ceux qui ont transmis leur mémoire et leur langue avec une énergie et un esprit sains, sans briser, voler ou dénaturer. » Empruntant un certain nombre de chants au répertoire impressionnant des Sœurs Goadec, Louise Ebrel et Ifig Flatres chantent la rencontre de leurs deux terroirs respectifs, la Haute Cornouaille et le Pays Bigouden. Surtout, le couple montre toute la subtilité des assonances et des allitérations permises par la langue bretonne. (Pour en savoir plus sur le kan ha diskan, nous vous renvoyons vers notre chronique du disque Hiri, sorti en fin d’année 2023.)






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