En mai 2023, à l’occasion d’une interview accordée à RTL, Hugues Pradier, directeur de la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, a annoncé une édition en deux volumes de l’œuvre de l’écrivain britannique J.R.R. Tolkien. Une véritable reconnaissance pour l’auteur du Seigneur des Anneaux, considéré comme le père de la fantasy moderne.
Alors que la fantasy a longtemps été dépréciée par une partie de la critique, elle est désormais enseignée dans les universités françaises, notamment par Anne Besson[1], spécialiste des littératures de l’Imaginaire, mais également par Justine Breton et William Blanc[2], qui étudient le médiévalisme – c’est-à-dire les représentations modernes et contemporaines du Moyen-Âge.
L’aura dont bénéficie la fantasy aujourd’hui doit bien évidemment beaucoup à ces chercheurs, mais également à ses écrivains les plus talentueux. Comme nous l’avions déjà évoqué dans nos colonnes, la fantasy française est loin d’être à la traine, et Jean-Philippe Jaworski (Gagner la Guerre) est bien évidemment l’un de nos auteurs les plus respectés.

En ce mois de janvier 2024, Jean-Philippe Jaworski est mis à l’honneur par sa maison d’édition Les Moutons Électriques à travers une campagne de précommandes très prometteuse, que Cheminez a soutenue avec plaisir, ainsi que par la parution du roman Le Débat des Dames, le troisième et dernier tome de la trilogie Le Chevalier aux Épines, prévu pour le 24 janvier prochain – après Le Tournoi des Preux et Le Conte de l’assassin, sortis respectivement en janvier et juin 2023.
Dans Le Chevalier aux Épines, Jean-Philippe Jaworski raconte les aventures d’Ædan de Vaumacel, chevalier tombé en disgrâce après avoir été accusé d’avoir eu une relation adultère avec la Duchesse Audéarde. Absent lors du procès de la ci-devant duchesse, le Chevalier aux Épines est de retour dans le Duché de Bromael, où il compte rétablir son honneur, ainsi que celui de la grande Dame. Une entreprise pour le moins difficile, d’autant plus que les tensions dans la famille ducale sont sur le point de faire sombrer ce petit pays féodal dans une guerre civile.
Dès le premier volume, Jean-Philippe Jaworski a rendu un vibrant hommage à la littérature du Moyen-Âge. Non content de se saisir des codes du roman courtois pour mieux les contourner, l’écrivain – qui pendant de longues années a été professeur de lettres – s’amuse à faire correspondre le fond et la forme, en reprenant des esthétiques médiévales à l’intérieur de son roman de fantasy. Il en découle une trilogie qui témoigne d’une grande érudition et d’un immense travail de recherches.
Mais Le Chevalier aux Épines n’est pas que cet hommage aux romans courtois sur lequel nous avons longuement insisté. Louée pour la qualité de son écriture et la richesse de son vocabulaire, la trilogie du Chevalier aux Épines est une superbe fresque de fantasy médiévale, qui déploie une intrigue complexe et passionnante ; c’est avant tout un très grand roman de fantasy, rempli de personnages déjà iconiques, de mystères passionnants et d’aventures merveilleuses. Par ailleurs, Le Chevalier aux Épines épaissit l’univers secondaire de Jean-Philippe Jaworski, le Vieux Royaume de Léomance, amorcé dans le recueil de nouvelles Janua Vera et dans le roman Gagner la Guerre.
Après un second tome presque entièrement raconté du point de vue de l’assassin Don Benvenuto Gesufal – le personnage principal de Gagner la Guerre –, Le Débat des Dames nous plonge un mois après qu’a éclaté la Guerre des Deux-Duchesses et l’invasion du Duché de Bromael par les barbares d’Ouromagne. Accompagné de l’énigmatique Chevalier aux Pies et de Geriant de Froëch, Ædan de Vaumacel participe aux pourparlers entre les différents partis. Mais le Chevalier aux Épines n’oublie pas ses autres engagements.
Dans Le Chevalier aux Épines, vous ne trouverez pas de femmes se battant avec des épées, comme Arya Stark et Brienne de Torth dans Le Trône de Fer de George R.R. Martin ; les armes qu’elles utilisent (les mots) sont toutefois beaucoup plus aiguisés, et les duels sont peut-être plus difficiles pour les hommes habitués de la lice. Il y a d’ailleurs une similitude intéressante entre Le Débat des Dames et Les Grands Arrières, le deuxième tome de Chasse Royale, dans lequel le guerrier Bellovèse devait débattre face à trois femmes : la Haute-Reine Prittuse, sa mère et sa sœur.

Les personnages féminins – qui sont très nombreux dans la nouvelle trilogie de Jean-Philippe Jaworski – mènent la danse dans ce Débat des Dames, dont le titre est décidément fort à-propos. Ædan de Vaumacel, qui jamais ne « mésestime l’abnégation que recquiert le service des dames », débattra avec trois d’entre elles, et les plus retorses, pour le plus grand plaisir du lecteur, puisque Jean-Philippe Jaworski profite de ces discussions pour écrire des dialogues absolument savoureux, à l’image de celui qui suit.
« Vous étiez une des demoiselles de compagnie qui entouraient ma dame la duchesse dans les jardins.
– Ah ! Tout de même ! se récria Azalaïs d’un air un peu pincé. Je n’étais donc pas si transparente que cela. Pendant un moment, j’ai pu croire que j’avais tenu lieu de repoussoir.
– Vous m’excuserez d’avoir accordé plus d’attention à la duchesse qu’à ses suivantes, si charmantes fussent-elles. Et si je ne m’abuse, dame, vous étiez encore fort jeune à cette époque. Vous avez grandi depuis lors en âge, en puissance et en beauté.
– La flatterie est un peu facile, chevalier. Ne croyez pas vous en tirer à si bon compte. Mais il est vrai que les épreuves m’ont mûrie depuis cette époque insouciante, tandis que vous, sire Ædan… On dirait que les saisons, les voyages, les blessures et l’infamie ont glissé sur vous sans vous atteindre. Quel est donc votre secret de jouvence ? L’ingratitude ? L’inconstance ?
– Si tels sont les noms que vous donnez à la droiture, je ne vous contredirai pas, dame.
– Le rapport, dîtes-moi, de la droiture à la pusillanimité ?
– Admettez qu’il faut de la fermeté pour soutenir sans faiblir vos assauts. »
Le Débat des Dames résout de nombreux mystères qui planaient dès Le Tournoi des Preux. Le lecteur en apprendra beaucoup sur la Dame des Futaies Bleues, les Aventureux du Bois Oiselé ou encore sur les liens qui unissent Ædan de Vaumacel avec son écuyer Naimes et son page Cœl. Cependant, certains de ces mystères demeureront au terme du roman, et trouveront une résolution dans un arc narratif plus grand, qui devrait paraître après La Grande Jument – la troisième et dernière branche du cycle de fantasy historico-celtique Rois du Mondes.
On ne doute pas qu’une certaine bascule dans le roman désappointera une partie des lecteurs ; cependant Le Débat des Dames n’en demeure pas moins une excellente conclusion au Chevalier aux Épines, qui s’impose déjà comme un nouveau sommet dans la fantasy française. On vous en conseille chaudement la lecture !
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[1] Professeure de Littérature comparée à l’Université d’Arlois, Anne Besson a dirigé le Dictionnaire de la Fantasy, aux éditions Vendémiaire, dans lequel collabore un certain… Jean-Philippe Jaworski.
[2] Historien et spécialiste du médiévalisme, William Blanc étudie les usages contemporains du Moyen-Âge ; il a co-dirigé avec Anne Besson et Vincent Ferré le Dictionnaire du Moyen-Âge Imaginaire aux éditions Vendémiaire.






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