Les fêtes de fin d’année approchent à grand pas, et peut-être êtes-vous en train de chercher des cadeaux originaux à offrir à vos proches. Pour vous aider dans cette entreprise, Cheminez vous recommande tous les vendredis de décembre un livre jeunesse et un livre à destination d’un public adulte. Après La Grande Histoire de l’Écriture de Vitali Konstantinov, on vous présente un autre ouvrage qui nous paraît essentiel : Quand on avait tant de racines d’Adrienne Cazeille.
Depuis quelques années, la France est victime chaque été de terribles incendies. En 2022, celui qui a frappé la forêt de Paimpont en Bretagne, aussi connue sous le nom de Forêt de Brocéliande, a profondément marqué les esprits, et a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Mais les flammes d’un incendie, ce ne sont pas uniquement la destruction de la biodiversité et des constructions humaines. Ce peut-être également des arts de vivre et des civilisations millénaires.

C’est ce que nous explique Adrienne Cazeilles, dans son magnifique ouvrage Quand on avait tant de racines, paru en 1977, un an après le gigantesque incendie qui a ravagé une partie du pays des Aspres, au sud-ouest de la France, brûlant 17 000 hectares. Ancienne institutrice et jardinière, l’auteure y raconte avec beaucoup de tendresse son enfance difficile mais heureuse dans son pays.
Introduit par un magnifique poème en catalan, Pays de l’Aspre de Josep Sebastià Pons, qui rend hommage à ce « Pays d’une tradition millénaire / Pays de la lavande aux arêtes des ardoises / Pays des oronges de l’automne / Pays de la petite fontaine ferrugineuse », Quand on avait tant de racines nous raconte le quotidien des habitants de la garrigue.
Par certains côtés, ce témoignage est celui de la fin d’un monde : l’auteure nous donne un aperçu de ces métiers aujourd’hui disparus, comme les empallaires, les rempailleurs de chaises, ou encore les allumetaires, les vendeurs d’allumettes. Elle nous explique comment s’entremêlaient habitudes paysannes, rituels sociaux et familiaux : la confection de la confiture de figues qui durait trois jours, la grande lessive (mensuelle ou bisannuelle suivant les familles), qui durait trois jours également.

Comptant parmi les premières militantes pour l’écologie, elle se lamente de l’éloignement des nouvelles générations d’avec la nature. « L’eau est méprisée et gaspillée depuis une génération. Les enfants d’aujourd’hui ne connaissent pas son prix, puisqu’ils ne vont plus la chercher aux fontaines, ces merveilleuses fontaines que nos aïeux avaient peuplées de nymphes ou de fées et considéraient comme nos meilleures amies ».
Adrienne Cazeilles questionne notre présent : aussi pénibles que pussent être les corvées d’eaux et de ramassage de bois pour le chauffage, ces services étaient gratuits, tandis que « nous sommes rentrés dans le cycle des commodités qu’on achète ». L’auteure s’interroge : « Ma grand-mère est morte en 1938. Que penserait-elle de ce temps où plus rien n’est gratuit ? »
Ce rapport étrange « aux commodités qu’on achète » est parfois complètement absurde, comme aime à le souligner Cazeilles : « Je connais un village où les touristes achètent en petits paquets odorants toutes les herbes de la garrigue et sont incapables de trouver à cinq ou dix minutes de marche, le thym et la lavande, le fenouil et l’immortel. »
Pourtant l’auteure ne tombe jamais dans le passéisme si cher aux identitaires ; sans doute avait-elle trop conscience que si la civilisation catalane des Aspres disparaissait, cela serait surtout dû à l’exode rural, aux feux de forêts favorisés par l’abandon des vieilles pratiques agricoles, et le mépris tout jacobin de la République à l’égard de ce qui faisait l’essence des régions françaises.

À ce propos, un passage de cet ouvrage a particulièrement retenu notre attention. Évoquant les histoires en catalan que lui racontait sa grand-mère, comme « la llauseta i et pinsà, l’alouette et le pinson, trop pauvres pour se marier, et à qui tout le monde apportait un cadeau », elle décrit la honte qu’elle a reçue en héritage de l’école de la IIIème République de raconter ces histoires qu’elle adorait pourtant, et ne cessait de réclamer :
« À l’école d’où le catalan était banni – au point que celui qui était pris en flagrant délit était puni de vingt lignes le soir –, je ne parlais jamais de ces histoires. J’ai retrouvé sur un de mes anciens cahiers de classe conservés au grenier, une rédaction qui avait pour sujet « Faites le portrait de votre grand-père ou de votre grand-mère ». J’avais menti sans vergogne, ou plutôt par vergogne, par fausse honte, et je la décrivais, ma grand-mère catalane, ma padrina, comme le stéréotype de mon livre de lecture, me racontant Cendrillon et le Chaperon rouge dont elle n’avait jamais entendu parler. »
À l’heure où la thèse du « Grand Remplacement » de Renaud Camus est reprise presque chaque jour sur les chaînes de télévision et de radio, la lecture de Quand on avait tant de racines d’Adrienne Cazeilles vient apporter un éclairage nouveau. Une civilisation que les grands bouleversements politiques, économiques, sociologiques et culturels du XXème siècle ont affaiblie et que des feux de forêts ont peut-être achevée peut-elle mourir encore ? Et si oui, qui en sera responsable ?
Pour toutes ces raisons, Quand on avait tant de racines est peut-être un ouvrage plus important que ne l’avait espéré son auteure. Il est d’abord le témoignage historique de l’état d’un pays français à l’époque où l’on y parlait encore le catalan, et est devenu a posteriori autant un livre d’ethnographie que de philosophie politique. On y trouvera d’ailleurs d’évidents cousinages avec Le Cheval d’orgueil de Pierre-Jakez Hélias, paru en 1975, et qui raconte avec beaucoup de détail le mode de vie du milieu paysan dans le Pays Bigouden au début de XXème siècle.






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