À l’occasion des fêtes de Noël qui approchent, la rédaction de Cheminez s’est concertée pour vous faire découvrir tous les lundis huit disques (quatre originaires de nos régions et quatre autres venant des pays du monde), à glisser sous le sapin.
Si vous avez lu notre interview de Denez Prigent, vous êtes désormais convaincu que la chanson bretonne est très éloignée de « Ils ont des chapeaux ronds, vive la Bretagne ! / Ils ont des chapeaux ronds, vive les bretons ! ». La chanson bretonne est riche et variée. Le récent ouvrage du chanteur breton, Gwerz Denez, nous révélait d’ailleurs toute la profondeur poétique de la gwerz, genre millénaire « issu de la rencontre entre les bardes gallois et les bardes bretons », trop souvent comparé (à tort) avec la complainte.
Nous souhaiterions attirer votre attention aujourd’hui sur un album, qui paraîtra ce vendredi 8 décembre : Hiri d’Érik Marchand, Eric Menneteau et Youenn Lange. Ce disque, édité sous le label Musiques Têtues et disponible dès 15 euros chez votre disquaire, rend hommage à l’un des genres majeurs de la chanson bretonne traditionnelle : le kan ha diskan (« chant et contre-chant » en breton).

Le kan ha diskan est un chant à danser et à répondre. Traditionnellement interprété a capella, il est très en vogue dans les festoù-noz (fêtes de nuit) en Bretagne. Hiri, dont le titre signifie « aujourd’hui » en breton, est composé de quinze kan ha diskan, datant des XIXème et XXème siècles, qui se sont transmis exclusivement à l’oral. Magnifiquement interprétés par trois stars des festoù-noz, ces chansons enregistrées dans les conditions du live sont à la fois un hommage à la transmission, à la littérature orale et à une langue bretonne vivante et dynamique.
Et cette transmission orale est au cœur de la démarche de Hiri : issus de trois générations de chanteurs différentes, Érik Marchand, Éric Menneteau et Youenn Lange interprètent des chants qu’ils ont appris de la bouche de leurs maîtres. On retrouve ainsi Bloa’ 1932 (en français, L’année 1932), du duo Albert Boloré et Eugène Grenel, qui eurent une grande importance dans la carrière d’Érik Marchand. Citons également Lavar din-me petra ‘peus graet (« Dis-moi ce que tu as fait »), issu de répertoire de Manu Kerjean, qui a appris le kan ha diskan à Éric Marchand.
Dans une interview accordée à France Bleu Breizh Izel, Marchand évoque également des enregistrements de travail de Yann-Fañch Kemener, célèbre collecteur et chanteur avec qui les trois ont collaboré au cours de leurs carrières respectives, que Youenn Lange a retrouvés. Hiri est donc le fruit d’un immense travail de collectage et d’archiviste. Ce faisant, Érik Marchand, Éric Menneteau et Youenn Lange permettent à cette chaine de transmission de perdurer.
L’album est accompagné d’un petit livret, qui permettra aux non-bretonnants de découvrir la traduction des quinze chants qui figurent sur Hiri. Ce sera également l’occasion de se rendre compte de toute la pertinence, la poésie et l’humour de ces chansons populaires. Surtout, s’il s’agit de chants anciens, ils y évoquent des thématiques toujours très actuelles : les élections dans Son ar Vot (« La chanson du vote »), la misère dans Bloa’ 1932 (« L’année 1932 »), l’exode rural des Bretons quittant leur pays pour se rendre à Paris dans Bretoned Breizh Izel (« Les Bretons de Basse-Bretagne »), l’amour de la fête dans Fest noz Pellan (« Le Fest-Noz de Pellan »), les violences sexuelles dans D’ar bemp warn-ugent a Viz du (« Le 25 novembre ») ou encore le dialogue amoureux dans Boñjour deoc’h plac’h yaouank (« Bonjour à vous, jeune fille »).
Notons que le kan ha diskan, comme la gwerz, est un art qui requière des qualités qu’Éric Menneteau à énumérées dans l’introduction de l’album Rod ne’o de Youenn Lange, sorti en 2020 : « la rigueur du linguiste, la folie de l’artiste, la précision de l’artisan, la ferveur du pratiquant, l’audace ingénieuse de l’interprète, la rumination oubliée pour le lâcher-prise du patricien, la belle voix du chanteur musicien. » Notons une autre qualité qu’a mentionnée Érik Marchand : cet « art difficile et subtil » nécessite « une exigence de prononciation digne des meilleurs rappeurs ». Et toutes ces qualités sont bien visibles dans cet album que l’on vous encourage fortement à découvrir !
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