Si d’aventure, vous vous rendez dans votre librairie de quartier et que vous flânez au rayon littératures asiatiques, vous remarquerez sans doute que la section la plus pourvue est la littérature japonaise. Cheminez ! a composé pour vous une petite liste de huit chefs d’œuvre de la littérature japonaise à lire absolument. 

Le Dit du Genji – Murasaki Shikibu (XIème siècle)

Attribué à dame Murasaki Shikibu, une femme de cour ayant vécu entre le Xème et XIème siècle (époque Heian, 794-1185) et à qui l’on doit notamment le conte Kaguya-Hime (adapté au cinéma sous le titre Le Conte de la Princesse Kaguya par Isao Takahata pour le studio Ghibli), Le Dit du Genji est souvent considéré comme l’une des œuvres fondatrices de la littérature japonaise

L’œuvre nous raconte sur plusieurs décennies l’Histoire du Genji, fils de l’Empereur qui ne peut accéder au trône, qui use de son charme pour séduire toutes les femmes de la cour. Si le roman est un merveilleux témoignage des usages de la cour de l’Empereur à l’époque Heian (intrigues courtisanes, religion, musique, poésie y sont évoquées), Le Dit du Genji va bien au-delà de cette simple dimension : il est en effet considéré par de nombreux spécialistes comme le premier roman psychologique de la littérature, notamment pour ses personnages profondément complexes. 

Absolument passionnant, Le Dit du Genji peut néanmoins représenter certaines difficultés. Tout d’abord, le roman est traversé par pas moins de 800 courts poèmes (des waka), pas toujours compréhensibles par le lecteur ; ensuite, les personnages ne sont cités que par le titre – changeant – qu’ils occupent à la cour.

Haiku – Issa Kobayashi (fin du XVIIIème siècle)

Étudiés de manière très sommaire dans les collèges français, le Haïku est bien plus qu’un court poème de 17 syllabes. Célébrant l’évanescence des choses et les sensations qu’elles suscitent, les haïkus disent beaucoup en très peu de sons. Si la critique et les librairies considèrent Bashō comme le grand maître du haïku, nous avons préféré évoquer Issa Kobayashi, dont le recueil Haïku propose une merveilleuse synthèse du travail poétique, pour qui désirerait découvrir son œuvre.

Né en 1763, Issa Kobayashi a eu une vie pour le moins difficile : sa mère est morte alors qu’il était âgé de trois ans, il a été élevé par une marâtre qui le détestait, s’est marié à trois reprises, perdra ses quatre premiers enfants en bas âge, ainsi que sa première femme. Il est l’auteur de 20 000 haïkus, qui ont renouvelé la forme du genre. Non moins évocateurs que ceux de ses illustres prédécesseurs, tels Buson, ses haïkus sont marqués par une volonté plus personnelle, plus autobiographique. 

Haiku oblige, l’œuvre d’Issa Kobayashi est bien sûr une exaltation de la nature, dans laquelle transparaît la philosophie zen si essentielle à ce genre poétique ; toutefois, elle est également marquée par le deuil de ses enfants

Ainsi, après la mort de sa première fille, il écrit ce haïku d’une accablante tristesse :

« Sous la brise d’automne / ces fleurs rouges / qu’elle aurait tant aimé arracher » (« Akikaze ya / Mushiri ta gari shi / Akai hana »).

Il découle des différentes tragédies qu’Issa a traversées une mélancolie ravageuse :

« La rosée s’en va / n’ayant rien à faire avec / un monde si bas ». 

Cette anthologie comprend bien évidemment qu’une partie infinitésimale de l’œuvre poétique d’Issa Kobayashi ; toutefois, en plus de la beauté et de la variété des haïkus que le livre contient, l’édition est très belle : respectant la philosophie du genre, chaque page contient un haïku, écrit en japonais, retranscrit en romajis[1] et traduit en français. 

Contes de pluie et de lune – Ueda Akinari (1776)

Adapté au cinéma en 1953 par Kenji Mizoguchi sous le titre de Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu monogatari), Les Contes de pluie et de lune est l’un des ouvrages majeurs de la littérature japonaise de l’ère Edo. Parce que le moment où, après un épisode de pluie, la lune apparait dans un halo lumineux, et que l’on appelle ugetsu en japonais, est propice aux manifestations surnaturelles, Ueda Akinari signe un recueil de neuf contes fantastiques. Dans sa préface, l’auteur explique avoir écrit ces différents contes inspirés de légendes chinoises en contemplant des ugetsu. 

Amants qui s’aiment après la mort, serments d’amitié entre samouraïs qui survivent à leurs auteurs, Empereur vaincu qui maudit ses ennemis, chacun de ces neuf contes est une porte d’entrée idéale dans le merveilleux japonais. Tantôt effrayants, drôles, émouvants, ces neuf contes sont autant de manières de considérer la mort

Si cette lecture vous a plu, nous vous recommandons aussi la lecture des Contes de la pluie de printemps (Harusame monogatari) d’Akinari Ueda, paru à titre posthume, qui prend la forme d’un recueil de dix contes. Moins connu que l’ouvrage précédent, il est néanmoins cité dans Le Meurtre du commandeur de de Haruki Murakami. 

Je suis un chat – Natsume Sôseki (1905)

Auteur le plus emblématique de l’ère Meiji[2], dont la vie a été racontée en partie par le mangaka Jiro Taniguchi dans le premier tome d’Au temps de Botchan, Natsume Sôseki est l’auteur de plusieurs livres majeurs, dont Le Mineur et Je suis un chat. Professeur d’anglais de formation, Natsume Sôseki est devenu le remarquable commentateur de la société Meiji, sur laquelle il nous offre un regard décapant dans Je suis un chat

Le narrateur, chat d’un professeur d’anglais, nous livre un fabuleux témoignage de l’époque dans laquelle a vécu l’écrivain, et de la société intellectuelle dont il est issu. Témoin lucide, le chat-narrateur raille les changements d’une société qui s’occidentalise brutalement, adoptant certaines modes, quitte à se montrer ridicule. 

À la fois drôle et plein d’esprit, Je suis un chat de Natsume Sôseki est une merveilleuse porte d’entrée dans la bibliographie de son auteur, ainsi qu’une fenêtre ouverte sur une époque charnière de l’Histoire japonaise. Comme de nombreuses œuvres de littérature animalière (Anima de Wajdi Mouawad, Kra de John Crowley), Je suis un chat est également un regard sur la condition humaine, abordant aussi nos codes sociaux, notre peur de la mort, notre recherche du sacré. 

On vous recommande également la lecture de Botchan du même auteur : un livre que lisent tous les japonais au cours de leur scolarité, portrait au vitriol du milieu scolaire dans la Province japonaise du début du XXème siècle. 

Éloge de l’ombre – Jun’ichiro Tanizaki (1933)

Comptant parmi les plus grands écrivains japonais du début du XXème siècle aux côtés de Yasunari Kawabata, Jun’ichiro Tanizaki est l’auteur d’une œuvre pléthorique, largement adaptée au cinéma (le distributeur français The Jokers a d’ailleurs sorti une version remasterisée 2K de Tatouage de Yasuzō Masumura, adaptant deux nouvelles de Jun’ichiro Tanizaki). L’une de ses œuvres les plus fondamentales est l’essai Éloge de l’ombre, paru en 1933, et dans lequel Tanizaki s’intéresse à l’identité artistique japonaise. 

Hanté par la question de l’occidentalisation du Japon suite à la restructuration de l’ère Meiji, Jun’ichiro Tanizaki oppose l’esthétique japonaise à l’esthétique occidentale. Là où l’Occident met en avant, parfois de manière tapageuse, la lumière, l’essence de la culture japonaise est l’esthétique de la pénombre, et du clair-obscur

Si ce court essai est essentiel pour comprendre la culture nippone, il a également une autre dimension plus intéressante encore dans la mesure où il questionne comment nos comportements sont en partie régis par notre environnement, ses couleurs, ses matériaux, ses textures. 

Le Voyage en mer du prince Takaoka – Tatsuhiko Shibusawa (1987)

Si l’œuvre de Tatsuhiko Shibusawa ne se cantonne bien évidemment pas à la fantasy (proche ami de Yukio Mishima, il a également publié de nombreux travaux liés à l’œuvre érotique du Marquis de Sade), il n’en demeure pas moins un merveilleux représentant du genre au Japon. 

Son Voyage en mer du prince Takaoka (en japonais, Takaoka Shinno Kokai-ki), publié au Japon en 1987 et édité en France en 2022 aux éditions Actes Sud, a été sélectionné en 2023 pour le Prix du Meilleur roman de fantasy étranger aux Imaginales d’Épinal, festival de référence pour les amateurs de fantasy. 

Se basant sur un personnage historique ayant vécu au IXème siècle, le prince Takaoka, qui se fait bonze après avoir été écarté de la succession impériale, et qui a entrepris à la fin de sa vie un voyage vers la Chine et vers l’Inde, Tatsuhiko Shibusawa nous livre une odyssée fantasmatique dans laquelle il questionne le réel. 

La Ballade de l’impossible – Haruki Murakami (1987)

La Ballade de l’impossible est l’œuvre du romancier Haruki Murakami, souvent cité parmi les favoris des bookmakers pour le Prix Nobel de Littérature. Publié en 1987, il s’agit de son cinquième roman, après Écoute le chant du ventFlipper 1973La Course au mouton sauvage et La Fin des temps. Si ses deux précédents romans s’orientaient vers le réalisme magique – genre de prédilection de l’écrivain de Kafka sur le rivage et 1Q84 -, La ballade de l’impossible est dans une verve plus réaliste. 

Japon, années 60. À la fin du lycée, Toru Watanabe perd brutalement son meilleur ami, le charismatique Kozuki, qui s’est suicidé. Quittant Kobe pour suivre des études de théâtre à Tokyo, le protagoniste découvre la vie d’adulte et rencontre à nouveau la belle et fragile Naoko, l’ancienne petite amie de Kozuki, dont il tombe éperdument amoureux. 

Récit initiatique d’une mélancolie et d’une poésie remarquables, La Ballade de l’impossible est un véritable best-seller au Japon comme en Occident. L’écrivain japonais, pourtant très discret sur sa vie privée et son enfance, y raconte son expérience à travers son double littéraire, Toru Watanabe. Avec Kafka sur le RivageChroniques de l’oiseau à ressort, la trilogie 1Q84 et Le Meurtre du CommandeurLa Ballade de l’impossible fait partie des romans les plus appréciés de l’auteur. 

Grand admirateur de L’Attrape-cœur de J.D. Salinger et l’œuvre de Francis Scott Fitzgerald (Gatsby le magnifique), Haruki Murakami nous émerveille à travers le quotidien raconté de manière quasi-phénoménologique de son personnage solitaire. On aime suivre ses déambulations dans un Tokyo en profonde mutation, ses rencontres avec Nozikawa et Midori, découvrir son regard décalé sur le monde qui l’entoure. 

Qui lit La Ballade de l’impossible risque fort de tomber éperdument amoureux des romans de Haruki Murakami. L’écrivain japonais a sorti en avril 2023 un nouveau roman au Japon, La ville et ses murs incertains – son premier depuis Le Meurtre du Commandeur en 2017 – qui paraitra en France aux éditions Belfond en 2025. On a hâte !

Quartier Lointain – Jiro Taniguchi (1998-1999)

Parce que le manga occupe une place importante dans la culture nipponne, et que la France est le premier pays consommateur de mangas après le Japon, nous ne résistons pas à l’idée de glisser dans cette sélection un manga que la critique française considère un peu pompeusement comme un roman graphique : Quartier Lointain de Jiro Taniguchi. 

Souvent considéré (à raison) comme l’un des plus grands auteurs de bandes dessinées japonaises, et ce malgré le fait que ses œuvres soient moins vendues que des mastodontes tels que One Piece d’Eiichiro Oda ou Dragon Ball d’Akira Toriyama, Jiro Taniguchi a profondément séduit le lectorat français

Dans Quartier Lointain, ce formidable conteur nous raconte l’histoire de Hiroshi, homme d’affaire qui, de retour dans sa ville natale, est propulsé à l’époque de ses 14 ans, l’année où son père a brutalement quitté le domicile familial. Hiroshi se donne pour mission de comprendre les raisons de son départ, et si possible de l’éviter. D’une tendresse et d’une justesse folles, Quartier Lointain montre tout le talent de Jiro Taniguchi à sonder les sentiments humains. 

Du même auteur, nous vous recommandons également la lecture d’Au temps de Botchan, pentalogie sur l’époque Meiji vue par le prisme de ses artistes les plus éminents, Le Journal de mon Père ou encore la quête himalayenne Le Sommet des Dieux, récemment adaptée en film d’animation par le brillant cinéaste français Patrick Imbert (Le Grand Méchant Renard et autres contes). 

Et vous, quels sont vos livres japonais favoris ? N’hésitez pas à nous le dire dans l’espace commentaires. Et si cet article vous a plu et si vous appréciez découvrir de nouveaux horizons littéraires, la rédaction de Cheminez vous recommande vivement de découvrir sa sélection de livres amérindiens.


[1] Transcription du japonais en alphabet latin.

[2] Époque Meiji (1868-1912) : l’une des quatorze subdivisions traditionnelles de l’Histoire Japonaise, marquée par l’ouverture au monde du Japon jusqu’alors isolé, sa modernisation et son occidentalisation. 

Une réponse à « Haruki Murakami, Jiro Taniguchi : huit chefs d’oeuvre de la littérature japonaise »

  1. Merci Cheminez pour cette sélection 🙂

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