Dans la postface qu’il a rédigée pour l’ouvrage Manières d’êtres vivant: enquêtes sur la vie à travers nous (2020) de Baptiste Morizot, l’écrivain de science-fiction Alain Damasio disait à propos de son auteur : « Il pense comme il piste, en dansant parmi les cistes, le sac à dos mental bourré de lectures, l’épaule au contacte des buis, l’oreille aux aguets.«
L’auteur de La Horde du Contrevent et des Furtifs affirme que la plus grande contribution de Baptiste Morizot à la philosophie, c’est d’avoir « redonné sa liberté au vivant » en nous libérant par l’analogie de « l’anthropomorphisme simpliste, de la naturalisation abêtissante de l’humain et du réductionnisme éthologique« .
Plus simplement : en suivant la trace des animaux dans les forêts du Yellowstone, sur les crêtes du Kirghizstan ou dans les steppes du Haut-Var, Baptiste Morizot nous apprend à reconnaître, entre l’humain et les autres vivants, des structures de relation au monde analogues, sans jamais effacer le rapport singulier et direct que chacun entretient avec le monde. C’est, en somme, l’essentiel de son travail dans Sur la piste animale (2019) et Manières d’être vivants (2020).

La philosophie du vivant de Baptiste Morizot ne se réduit pas à cette seule libération éthologique, aussi captivante soit-elle. Au fil de son œuvre, l’auteur esquisse en creux une nouvelle manière d’habiter notre lien avec la nature. Dans Raviver les braises du vivant – Un front commun (2020), il dénonce ainsi une écologie encore prisonnière d’une « mégalomanie anthropocentrique » qui s’arroge le droit — illusoire — de « restaurer » la nature. Or, souligne-t-il, on ne restaure que ce que l’on a fabriqué soi-même ; on ne restaure pas ce qui nous a fabriqués.
La nature, bien plus puissante que nous, sait se régénérer seule. « On ne régénère pas le vivant, écrit-il ; on réveille ses puissances autonomes de régénération. » À la sanctuarisation d’une nature immaculée opposée à un humain diabolisé, Baptiste Morizot défend plutôt l’expression d’une confiance dans les dynamiques du vivant. Il soutient le projet de Réserve de vie sauvage, qui a permis l’acquisition de 500 hectares de forêts dans le Vercors laissées en libre-évolution.

La carrière de Baptiste Morizot dessine ainsi une nouvelle carte ontologique où l’humain, décentré, tisse des relations diplomatiques avec le vivant. Pour incarner cette vision géopolitique des liens entre l’homme et la nature, le philosophe s’empare du retour spontané du loup en France, point de départ de son essai Les Diplomates : Cohabiter avec les loups pour esquisser cette nouvelle carte du vivant (2016). Il y appelle à une cohabitation mutuellement bénéfique avec le grand canidé, longtemps figure terrifiante dans nos contes.
Au prix de pertes limitées de bétail – que des chiens de protection, comme le Patou des Pyrénées, et l’ouverture de corridors écologiques peuvent encore réduire –, cette cohabitation ouvre des perspectives écologiques majeures. En régulant les populations de cervidés et de sangliers, le loup favorise la régénération des sous-bois et la densification des forêts dont nous dépendons.
Très prolifique, Baptiste Morizot a publié trois livres en 2025, dont Rendre l’eau à la terre: Alliances dans les rivières face au chaos climatique. Revenant sur l’histoire de l’environnement fluvial, l’auteur rappelle qu’une rivière vivante, à l’état naturel, s’accompagne toujours de milieux humides qui se déploient au gré de ses crues et de ses décrues. Pourtant, au nom de l’agriculture et de l’urbanisme, nous avons drainé, corseté et bétonné ces cours d’eau, nous privant ainsi d’un régulateur climatique.

Morizot propose alors de tisser une nouvelle relation diplomatique avec une autre espèce animale que l’on a massivement persécutée, au point de l’avoir presque éradiquée au cours du XIXème siècle : le castor. En construisant ses barrages, le rongeur permet aux rivières et aux cours d’eux de s’épandre à nouveau et de créer de nouveaux lieux humides indispensables. « Le cœur de l’affaire tient en une phrase : les nuisances du castor sont visibles, et ses dons sont invisibles – mais ses dons mille fois supérieurs à ses nuisances – quand on a appris à voir.«
Que l’on soit d’accord ou non avec les propositions de Baptiste Morizot, il est indéniable que les débats qu’ouvre le philosophe élargissent considérablement les perspectives écologiques.
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