Huit ans après la parution de Breizh Anok (2017), Les Ramoneurs de Menhirs reviennent avec un cinquième album très attendu, dont le titre sonne comme une promesse : D’Ar Gad Ataw (« Toujours au combat »). Le groupe de punk breton, formé autour du guitariste Loran — ex-Bérurier Noir — et du sonneur Éric Gorce, propose ce qu’il sait faire de mieux : le mariage — insolite seulement au premier abord — entre la rage contestataire du punk et l’énergie festive des fest-noz.
Composé de treize chansons, D’Ar Gad Ataw débute par Louise a-dak, en hommage à la chanteuse Louise Ebrel, fille d’Eugénie Goadec et reine de la gavotte. Elle a accompagné Les Ramoneurs de Menhirs sur scène et en studio, de 2006 à sa triste disparition en mars 2020, à l’âge de 87 ans.

Pour honorer la mémoire de celle qui leur a permis d’être acceptés par le public des fest-noz — comme le rappelle le journaliste Thelo Mell dans le documentaire Les Ramoneurs de Menhirs en lutte et en fête —, la formation punk interprète un medley de trois célèbres chants à danser issus du répertoire des Soeurs Goadec : Nozwezh Kentañ Ma Eured, E Garnison et Ar Montchou. Le medley se termine par la voix de Louise Ebrel, qui semble revenue du Tir na nÓg, l’Île de l’Éternelle jeunesse, pour nous dire un dernier au revoir.
Pour D’Ar Gad Ataw, Les Ramoneurs de Menhirs ont fait appel à une autre grande figure de la chanson bretonne : Robert Le Dour. Chanteur, militant communiste et défenseur de la langue bretonne depuis de nombreuses décennies, il accompagne le groupe sur la chanson Marion Ar Fawed, sur des paroles écrites par Roger Le Gouic en 1996.
Le groupe punk, qui n’a jamais caché sa proximité avec les courants anarchistes et antifascistes, et Robert Le Dour font de Marion du Faouët – cheffe d’une bande de brigands au XVIIIᵉ siècle – un symbole de la révolte populaire contre l’ordre établi. « Petite Marion rebelle ne supportait pas la misère noire / Les lois sur les lignages, et celles qui pèsent encore davantage sur le peuple, / Et au Diable cet esprit ! la Liberté pour toujours ! » (« Marionig emsavet, mizer du n’houle ket / Al lezennoù d’al linad, d’ar bobl muioch a droad / Ha d’an diaoul da spered, frankiz evit bepred« .) Ainsi, le groupe s’inscrit dans la longue évolution du mythe de Marion du Faouët, sur laquelle nous sommes longuement revenus dans un précédent article.
Suite au décès de Robert Le Dour en mars 2024 à l’âge de 90 ans, Les Ramoneurs de menhirs lui rendent hommage avec la chanson Labour ha kan (« Travaillez et chantez« ), titre repris du nom du cercle celtique que le chanteur avait intégré lorsqu’il vivait à Paris. Le groupe y retrace le parcours de Robert et de son père : tous deux utilisaient le chant pour tenir le coup face aux conditions de travail les plus dures et pour rassembler les travailleurs. Ils rappellent enfin ce conseil que Robert leur lançait sans cesse : « Tenez bon la lutte et la chanson ! » (« Dalnit da stourm ha da gano !« )
Fort de ce conseil, Les Ramoneurs de Menhirs apportent leur énergie dans tous les combats. Comme à chaque album, les Bretons s’en prennent ouvertement à l’extrême-droite, notamment dans les chansons No Pasaran et Murs de la honte. Mais la banalisation des discours identitaires et conservateurs n’est pas la seule cible des Ramoneurs.
En effet, le groupe dénonce également les violences policières, qui se sont multipliées sous les ministères de Christophe Castaner et de Gérald Darmanin, à travers la chanson Lacri-Moged — en hommage à Steve Maia Caniço, ce jeune homme tué en 2019 à la suite d’une intervention policière lors de la Fête de la musique à Nantes — ainsi que dans Police Oppression, reprise du groupe punk britannique Angelic Upstarts.

Militant pour « une Bretagne indépendante, équitable, entièrement biologique et métissée« 1, Les Ramoneurs de Menhirs luttent également contre le jacobinisme et le colonialisme. Dans la chanson Dirann (dérivé de disrann, qui signifie « séparation », « partition »), le chanteur Gwenaël Kere s’en prend vivement à la nouvelle division administrative française, qui a amputé la Bretagne historique de la ville de Nantes.
« Quand je suis au coin de Nantes / C’est ici que je suis dans mon pays / Comme elle est grande, la Bretagne entière / De Fougères à Clisson / Hélas, nous avons été amputés, / Nous nous sommes retrouvés estropiés / Notre corps coupé en deux morceaux / Notre nation nettoyée / Ainsi va le monde, avec les colons sans gêne / Qui ratissent et qui gouvernent. » (« P’emaon e korn Naoned / Aman emaon em bro / Na bras e vez Breizh a-bezh / Eus Fougeres da Glison / Siwazh omp bet amputet / Hon eus en em gavet kamm / Rannet hor c’horf e daou damm / Naet hon natioun / E-gis-se ez a war ar bed / Ar goloned dijen / A rastell hag a ren« )
Les Ramoneurs de Menhirs apportent également leur soutien au mouvement abertzale basque à travers une reprise du classique Zu Atrapatu Arte du groupe punk Kortatu — fondé par Fermin et Iñigo Muguruza —, ainsi qu’aux indépendantistes kanaks, avec une interprétation punk de la chanson Makukuti Kanaky, composée par Djo Bnka et devenue un hymne des manifestations indépendantistes du printemps 2024 en Nouvelle-Calédonie.
Cette reprise permet au public hexagonal de découvrir ou d’avoir accès à une chanson dont le rayonnement n’a malheureusement pas dépassé les frontières de la Kanaky. Comme pour Zu Atrapatu Arte, chantée en langue basque, Les Ramoneurs de Menhirs interprètent le chant de Djo Bnka en partie en langue faga : « Sauseu age / A maku kui / Hano luba / Ge iloa ge hano iloa de lalo langi / Oti oti Kanaky ! » (« Portons ensemble / Notre drapeau / Pour qu’il flotte / Pour que le monde entier sache, / Vive la Kanaky !« )
Les Ramoneurs de Menhirs incluent dans leur reprise de Makukuti Kanaky un pont musical dans lequel la bombarde et le biniou interprètent l’air de Son ar vot (« La chanson du vote« ), avant de laisser Gwenaël Kere chanter en breton :
« On avait demandé l’avis des habitants de l’île / Et ils voulaient quitter la France / Trois fois ils ont voté, trois fois ils ont dit non / Mais la dernière fois, les Kanaks manquaient / Depuis les colonies, au XIXe siècle, / La part des véritables Kanaks ne faisait plus que diminuer. / Alors, leur vote ne comptait plus vraiment pour le pays, / Et ils avaient le sentiment d’être à nouveau colonisés. » (« Goulennet e oa bet soñj an enezourien / Ha fellout a rae dezhi kuitaat ar Frañsiz / Ha teir gwech o deus votet, teir gwech o deus naet / Nemet d’ar wech diwezhañ e vanke ar Kanaked / A-houde ar goloned en naontekvet kantved / E-touez ar vihanañ lod ar gwir Kanaked / Neuze ne bouez ket o vot trawalc’h evit ar vro / Ha gante ar santimant bezañ koloniet en-dro« )
Cette reprise et son pont musical sont d’une force symbolique immense : les luttes anticoloniales kanakes englobent ici, au sens propre, les aspirations culturelles bretonnes. Dès lors, D’ar Gad Ataw s’impose comme un appel vibrant à l’union de tous les peuples qui résistent encore aux systèmes coloniaux et au jacobinisme. Par cet album, Les Ramoneurs de Menhirs atteignent l’aboutissement à la fois politique et musical de leur parcours punk.
- Voir le documentaire Les Ramoneurs de Menhirs en lutte et en fête, sur France Télévisions. ↩︎
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