Pour accompagner une scène d’À son image, où la jeune Antonia photographie Pascal, son petit-ami engagé dans la cause nationaliste corse, Thierry de Peretti a choisi la chanson Salut à toi du groupe Bérurier Noir, figure emblématique de la scène punk française des années 1980 et 1990. Cet hymne, qui s’adresse aux « hommes libres » et aux « apatrides », incarne l’esprit de révolte et de solidarité du punk, tout en rappelant son rôle dans l’accompagnement des luttes altermondialistes, anti-impérialistes et anticolonialistes à travers le monde.
Citons par exemple le groupe Brigada Flores Magón, dont le nom rend hommage à Ricardo Flores Magón, révolutionnaire et anarchiste mexicain d’origine zapotèque, qui lutta contre la dictature de Porfirio Díaz et inspira les mouvements anticolonialistes et libertaires. De même, le groupe Molodoï illustre cet engagement avec des chansons comme 30 avril 1975, évoquant la chute de Saïgon, ou Jeune Irlande, qui dénonce l’occupation britannique en Irlande du Nord et la répression des membres de l’IRA : « Tout c’que t’as vu / C’est une occupation / Des squelettes nus / Des grévistes en prison / De block en block / Et sous la torture / Les images chocs / Des années que ça dure. »
Alors que la question des droits des minorités linguistiques et culturelles a souvent été négligée, voire dédaignée, par une partie de la gauche française, certains représentants du mouvement punk se sont positionnés en première ligne pour tisser des liens entre les luttes anticoloniales et anti-impérialistes. La preuve avec ces cinq groupes de punk français !
Les Ramoneurs de Menhirs : pour une Bretagne indépendante, écologique et métissée
Formé à Quimper en 2006, Les Ramoneurs de Menhirs mêlent l’énergie et la rage contestataires du punk aux airs à danser bretons. Le groupe réunit le chanteur Gwenaël Kere, le couple de sonneurs Éric Gorce (bombarde et biniou kozh) et Richard Bévillon (bombarde et biniou kozh) — remplacé en 2023 par Jérôme — et Loran, ex-Bérurier Noir (guitare, chant et boîtes à rythmes). La célèbre chanteuse de kan ha diskan Louise Ebrel, fille d’Eugénie Goadec a accompagné Les Ramoneurs de Menhirs sur scène et sur leurs albums jusqu’à sa disparition en 2020.
Réunissant la scène punk et les amateurs de fest-noz, Les Ramoneurs de Menhirs alternent entre classiques du kan ha diskan, chansons originales en breton et/ou en français, et reprises des Bérurier Noir, revisitées avec l’énergie des cornemuses et bombardes. Leur engagement pour « une Bretagne indépendante, équitable, entièrement biologique et métissée » transparaît dans chacune de leurs chansons.

Ainsi, dans Bell’A.R.B., apparue dans leur premier album Dañs an Diaoul (« La Danse du Diable ») sorti en 2007, Les Ramoneurs proposent une reprise de l’hymne antifasciste italien Bella Ciao, en breton et en français. Le titre fait explicitement référence à l’Armée Révolutionnaire Bretonne (ARB), émanation active entre 1985 et 2000 du Front de libération de la Bretagne (FLB), organisation nationaliste bretonne d’extrême-gauche, anticoloniale et proche du socialisme gestionnaire. Difficile de ne pas penser au groupe de rap nord-irlandais Kneecap, qui réinvestit l’imaginaire lié à l’Irish Republican Army (IRA)…
Le mélange entre musique traditionnelle bretonne et punk offre un regard neuf sur certains classiques. On pense notamment à la gavotte Menez Daou, interprétée par Louise Ebrel sur le deuxième album des Ramoneurs de Menhirs, Amzer an Dispac’h (« Le Temps de la Révolte », 2010). Il s’agit d’une adaptation de la complainte Les Laboureurs, publiée dans le Barzaz Breizh de Théodore Hersart de La Villemarqué.
Racontant les conditions difficiles du monde paysan breton, ce chant du XVIIème siècle se concluait par un appel à la résilience : « Notre existence est pleine de souffrance, sans repos, ni jour ni nuit ! / Mais menons-la d’un bon cœur, pour aller au paradis.« Louise Ebrel et les Ramoneurs de Menhirs en ont changé la fin : « Hor stal ’zo poanius meurbet, paouez na deiz na noz, / Ken na cheñcho penn d’ar vazh, ni na ’mo ket repoz. » (« Notre condition est très pénible, sans repos ni jour ni nuit, / Tant que le bâton n’aura pas changé de main, nous n’aurons pas de repos. ») En 2010, la complainte devient donc un chant de contestation, annonciateur des conflits sociaux à venir (mouvements des Bonnets Rouges en 2013, des Gilets Jaunes en 2018 et 2019, des agriculteurs en 2024).
À l’occasion du documentaire Les Ramoneurs de Menhirs en lutte et en fête, diffusé sur France 3 Bretagne le 9 octobre 2025, le groupe a annoncé l’enregistrement d’un cinquième album, intitulé D’Ar Gad Ataw («Toujours au combat!» en breton), enregistré entre deux concerts en soutien à la Palestine. « Dans cet album, il y a du français, du breton, on reprend des traditionnels punk-rock dans la langue originelle, donc en anglais, on chante en kanak et on chante en basque. On chante la diversité ! », annonce Loran. On a hâte !
The Bolokos : punk tropical et génération brûlée
Plus riche qu’il n’y paraît, la scène rock guadeloupéenne compte de nombreuses formations, dont certaines captent davantage l’attention des pays anglophones qu’en France métropolitaine. De là à voir dans cette indifférence française un signe du détachement de l’Hexagone envers ses territoires d’outre-mer, il n’y a qu’un pas… Quoi qu’il en soit, The Bolokos est un groupe à découvrir absolument !
Formé à Goyave, en Guadeloupe, en 2009, le trio réunit Océ Cheapfret (chant, basse), Edy Caramello (chant, guitare) et Mister Fridge (batterie). The Bolokos fusionne avec audace punk et musiques antillaises, mêlant zouk, calypso et gwoka. Le groupe intègre parfois des instruments caribéens et chante en anglais comme en créole guadeloupéen.

Si ces univers musicaux semblent éloignés, The Bolokos les marie avec brio. Anecdote amusante : selon une théorie très populaire, le calypso, né de l’union des polyrythmies africaines et de la musique européenne, tirerait son nom de l’expression « kaiso » en langue efik (Nigéria), signifiant « Vas-y ! ». Une intimation qui n’est pas sans rappeler le « Do it yourself » punk.
The Bolokos, dont une cuvée de rhum de la distillerie Montebello porte le nom, ne se réduit pas à sa musique festive. Présent au Rebellion Festival, l’un des événements majeurs de la scène punk britannique, le groupe reste sensible aux aspirations de la jeunesse guadeloupéenne. Son deuxième album, Tropikal Noise, sorti en 2024, en est la preuve. Ce « bruit tropical » désigne à la fois une musique caribéenne revisitée par le punk à grand renfort de guitares électriques et la colère des Antillais. La chanson d’ouverture, Jénérasyon Brilé (« génération brûlée »), exprime avec force le malaise d’une jeunesse délaissée.
The Bolokos se positionne en porte-parole, comme en témoigne le dernier couplet de la chanson Ou Lé Lé : « Nou ka goumé ansanm pou pèp-la / Toujou tann ka-la sonné Lapwent / Tou lé sanmdi maten an lari Frébo / Sé sa Vélo té vlé, chimen-la long long / Nou tann goumé an nou alé ». (« Nous luttons ensemble pour le peuple / Toujours à l’écoute du ka [un tambour antillais] qui résonne à Pointe-à-Pitre / Tous les samedis matin, dans la rue Frébo / C’est ce que Vélo voulait, le chemin est long, si long / Nous continuons à lutter, nous avançons »)
La chanson We Are The Bolokos va bien au-delà d’un simple exercice d’ego-trip. Le trio, dont le nom signifie « les pèquenauds » en créole guadeloupéen, s’approprie l’imagerie du punk rejeté — « always rejected, always despised » (« toujours rejetés, toujours méprisés ») — pour établir un parallèle avec les populations des territoires ultramarins, souvent peu considérées par l’Hexagone.
GURS : la mémoire basque et anti-franquiste du punk
Depuis les années 1980, le Pays basque, des deux côtés de la frontière, s’est imposé comme un terreau fertile pour le mouvement punk. De Cicatriz à RIP, en passant par Eskorbuto, Kortatu et Kaleko Urdangak, la scène punk en langue basque vibre d’une énergie remarquable. Formé à Bilbao, le groupe GURS se présente comme « la fusion dysfonctionnelle de quatre amis » et propose un punk rugueux qui met le doigt où ça fait mal.
Chantant en espagnol et en basque, le groupe tire son nom d’une petite commune située au cœur des Pyrénées-Atlantiques, où fut établi en 1939 un camp d’internement pour les républicains espagnols, les Basques, les militants communistes et antifascistes. Dans la chanson Gurs, issue de leur premier EP sorti en 2024, Gerran bini gara (« Nous sommes en guerre »), le groupe bilbayen affirme : « L’histoire est la douleur de ceux qui ne peuvent oublier » (« La historia es dolor de quien no puede olvidar »).

En huit chansons percutantes — dont quatre en basque —, GURS livre un rock énergique, où la violence et la rage n’empêchent pas la poésie de s’épanouir, telle une fleur rouge dans un champ de ruines. « Là où les vents froids s’éteignent, la naissance d’un nouveau monde étouffe l’ancien. / La frustration de l’espoir forge l’identité que nous avons construite. » (« Mundu berri baten sorrerak zaharra itotzen du. / Esperantzaren frustrazioa eraiki dugun identitatea da. »).
Portant la mémoire douloureuse de l’histoire du peuple basque, notamment sous le franquisme, le groupe GURS lutte pour que les erreurs du passé ne se répètent pas et déclare la guerre aux « bouches ardentes au sein du parlement », dont les mots doux sont des « cadeaux de bouches empoisonnées ». Et de conclure dans la chanson éponyme de l’album : « Si nous n’avons pas le contrôle de notre force, / si nous ne sommes pas maîtres de nos actes, / nous vivons en guerre. » (Ez badugu gure indarraren kontrola / Ez bagara gure ekintzen jabe / Gerran, gerran bizi gara ! »)
Panzetta Paradise : Riacquistu is not dead
L’histoire du punk en Corse est intimement liée au Riacquistu, un mouvement de réappropriation de la langue corse à travers l’art, et particulièrement la musique. On pourrait trop facilement réduire le punk corse à la carrière fulgurante d’Éric Bonavita, alias Speedo, tragiquement disparu d’une overdose à 33 ans en mai 1990. Son frère, Serge Bonavita, lui a consacré un documentaire, Sale tête ce gamin, portrait d’un « agitateur inspiré vivant à 2000 à l’heure ».
En septembre 2023, le punk en Corse a été au centre de deux journées d’échanges à l’Université de Corte, dans le cadre du projet de recherche transdisciplinaire « Punk is not dead », réunissant historiens et musicologues.

Bien que la scène punk en langue corse soit plus discrète — de nombreux groupes n’ayant jamais publié d’albums —, elle reste vivante grâce à des artistes passionnés et talentueux. C’est notamment le cas de Panzetta Paradise, qui mêle avec brio l’esthétique du garage rock et du proto-punk à des influences issues de la chanson corse des années 1970 et 1980, comme celles d’I Muvrini ou de Chjami Aghjalesi.
En juin 2025, le trio originaire de la région d’Ajaccio a sorti son premier album, Garage Riacquistu. Cet EP comprend huit chansons, dont une reprise en corse du titre I Wanna Be Your Dog des Stooges, intitulée Vogliu esse lu to cane. La première chanson de l’album, Ùn Sò, explore la complexité de la quête d’identité de la jeunesse corse : « O fratelli simu l’eredi / Ma ùn sapemu mancu di chè ne » (« Ô frères, nous sommes les héritiers / Mais nous ne savons même pas de quoi »). Peu importe ! À l’heure de la reconquête linguistique et culturelle, du Riacquistu, l’esprit « Do It Yourself » du punk offre peut-être une voie. Comme le proclame le refrain de la chanson : « Ùn sò pueta ma possu pruvà » (« Je ne suis pas poète, mais je peux essayer »).
Goulamas’K : du ska punk dans les fêtes de villages occitans
Dans un article intitulé « La Chanson comme métissage » (1986), le sociolinguiste Louis-Jean Calvet observe que « le métissage que constitue la mise en musique est une sorte de faire avec : faire avec la langue et sa phonologie afin que la musique ne détruise pas le sens, ne fasse pas obstacle à la communication ».
Une observation que semble partager le groupe de punk aveyronnais Enlòc. Son chanteur reconnaissait ainsi au micro du sociologue Michael Spanu, pour son enquête Chanter en langue régionale dans un contexte global : « J’ai remarqué qu’on faisait plus de morceaux en occitan sur des rythmes ska, j’ai l’impression que ça sonne mieux. Le punk rock implique un chant un peu saccadé et je trouve que parfois l’occitan s’y prête moins bien, du fait peut-être des paroxytons qui entraînent parfois un “décalage” et qui se prêtent moins à ce genre-là. Par contre, je trouve que l’occitan sonne très bien sur des musiques comme le reggae ».

Fondé à Béziers en 1999, le groupe Goulamas’K semble avoir trouvé la bonne formule en proposant une musique métissée qui allie deux genres a priori antinomiques : le ska et le punk. Dès son premier album, Le Kri des Cigales (2002), il offre un rock hybride chanté en trois langues (occitan, catalan et castillan), où la fanfare dialogue avec la guitare électrique.
La formation, qui cite parmi ses références Mano Negra — groupe phare de la scène ska-punk des années 1980-1990 —, n’a jamais caché sa sensibilité à l’égard des peuples en lutte. À la fin de la chanson Resisténcia, qui donne son titre à leur quatrième album studio sorti en 2016, le groupe chante : « Per ara doname tota la força / de bramar Resisténcia » (« Pour l’instant donne-moi toute la force / de hurler résistance »).
Tour à tour écologistes, anticapitalistes et antifascistes, les chansons de Goulamas’K font souvent le lien entre l’universalisme et le régionalisme. À ce titre, ces deux vers tirés de la chanson Mon país, parue dans Avis de tempête (2010), pourraient presque servir de slogan : « Mon país es la Tèrra / Mon vilatge Occitània » (« Mon pays est la Terre / Mon village l’Occitanie »).






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