Le mercredi 8 octobre 2025, nous avons publié un article intitulé « Atoman : le premier film de super-héros marocain réinvestit malgré lui un imaginaire colonial ». Dans cet article, nous cherchions à analyser les raisons de l’échec du premier film de super-héros marocain, en mettant délibérément de côté les défauts les plus évidents du film — déjà largement soulignés par nos confrères — pour nous concentrer sur une mise en perspective des enjeux du long-métrage dans le contexte du cinéma marocain.

Nous avons également souhaité proposer des pistes de réflexion sur la forme que pourrait prendre un film de super-héros marocain, dont l’intrigue explorerait la théorie selon laquelle la mythique cité engloutie de l’Atlantide serait située au Maroc, plus précisément dans la chaîne de l’Atlas. Il nous semblait essentiel de rappeler le passé colonial de cette théorie et d’explorer la coexistence de ses différentes dimensions (coloniale, économique, autochtone) au sein d’un long-métrage de super-héros, une démarche qui nous apparaissait particulièrement riche.

Le vendredi 10 octobre 2025, Omar Mrani, scénariste de bandes dessinées et du film Atoman, nous a contactés pour répondre à notre article. Sa réponse, à la fois très cordiale et solidement argumentée, nous a semblé ouvrir la voie à un débat autour d’Atoman — au-delà de ses qualités artistiques intrinsèques — que les critiques, unanimement moqueuses à son égard, n’ont pas permis de susciter.

Depuis sa création, Cheminez a à cœur de demeurer une plateforme où l’expression libre des identités et des cultures permet de sortir des sentiers battus. C’est pourquoi nous avons proposé à Omar Mrani de publier son courrier sous la forme d’un droit de réponse, ce qu’il a accepté. Nous l’en remercions chaleureusement !


À la rédaction de Cheminez,

Je vous remercie de l’occasion qui m’est offerte d’exercer un droit de réponse par rapport à votre article intitulé « Atoman : le premier film de super-héros marocain réinvesti malgré lui un imaginaire colonial » paru le 08 octobre 2025 sur votre média en ligne. Une réponse qui apporte également quelques éléments de contexte pouvant expliquer l’échec du film.

En 2018, j’ai proposé l’idée originale et le scénario d’Atoman au réalisateur et producteur belgo-marocain, Anouar Moatassim, qui cherchait à produire un film de super-héros. L’histoire de Hakim Atlassi, un orphelin marocain en perte de repères qui apprend qu’il est le descendant d’Atlas, roi de l’Atlantide, et qu’il a pour mission de protéger l’Afrique de cataclysmes provoqués par un financier véreux, David Lockham. Ce dernier est un bandit à col blanc qui, à l’aide d’un artefact découvert dans les ruines de l’Atlantide, ravage le continent pour s’accaparer ses ressources naturelles. 

Nous avons déposé en ce sens un dossier de demande d’avance sur recettes au Centre Cinématographique Marocain (CCM). Nous avons défendu le projet devant une commission d’octroi. Et la société de production d’Anouar Moatassim, Casablanca Pictures, a obtenu une avance sur recettes de l’équivalent de 400.000 €. Un premier remaniement scénaristique a été effectué à la demande de M. Moatassim afin qu’il puisse intégrer des nouvelles scènes et en modifier d’autres. Après règlement d’une partie du montant convenu pour la cession limitée de mes droits sur le scénario, je n’ai plus eu de nouvelles de sa part jusqu’à ce que j’apprenne par voie de presse que M. Moatassim avait procédé à d’autres remaniements du scénario sans mon aval (et sans même m’en informer à postériori). En dépit de mes tentatives visant à obtenir copie du scénario, notamment par voie judiciaire, je n’ai pas pu y avoir accès en ma qualité d’auteur.  

C’est ainsi qu’en découvrant le film lors de l’avant-première de sa sortie en France sur la plateforme Prime Amazon en août 2025, je me suis rendu compte qu’il manquait un tiers du scénario, que la structure même de l’histoire avait été modifiée avec une introduction déplacée au milieu du récit, que la plupart des dialogues avaient été réécrits de manière indigente, et que le cœur même de l’intrigue avait été escamoté. Les raisons budgétaires invoquées ne justifient pas toutes ces modifications qui ont retiré jusqu’aux enjeux de l’histoire et aux motivations des protagonistes. Des changements qui rendent le récit incompréhensible et sans queue ni tête.  Ce qui a largement contribué à en faire la risée des réseaux sociaux.

Concernant le fond, le scénario d’Atoman se voulait être un hommage marocain aux films de super-héros américains de Marvel et DC Comics. Une première incursion dans ce genre de cinéma à succès. Mais de grandes ambitions ne suffisent pas pour pallier au manque de moyens financiers conséquents que nécessite la production d’un tel genre de films. Comme vous le citez c’est comme « affronter Napoléon muni d’un simple filet à papillons. »

Quant à l’identité d’Atoman, vous avez raison d’écrire que si l’histoire s’était inscrite dans une « forme narrative propre à notre région, reconnue et appréciée par son public », elle aurait peut-être rencontré un meilleur succès. Cela aurait été le cas si le film avait renoué avec les épopées de la littérature populaire arabe telles que celle de Antar Ibn Shaddad. Ce héros arabe dont la bravoure et la poésie ont été contés dans une « Moualaka », l’un des sept poèmes pré-islamiques les plus célèbres. 

Par contre, concernant le deuxième point que vous soulevez, l’usage d’archétypes mythologiques propres au pays, j’ai intégré dans l’histoire tant des croyances autochtones que des mythologies qui situent certaines de leurs légendes au Maroc. Hakim Atlassi, le héros de l’histoire, vit un retour aux sources grâce à son rattachement à une chaîne de transmission prodigué par le chef d’une confrérie mystique. C’est un récit initiatique par lequel le protagoniste effectue un cheminement intérieur vers une certaine forme de sagesse. Et c’est auprès de la confrérie des Hmad Ou Moussa que ce parcours initiatique a lieu. Une confrérie dont les membres sont descendants du célèbre saint soufi du XVIe siècle, Sidi Ahmed Ou Moussa. Des combattants dont la légende raconte qu’ils disposaient de pouvoirs surnaturels tels que celui de la Baraka protectrice ou encore celui de la faculté de parler aux animaux. Ces combattants d’origine berbère sont devenus au fil du temps des acrobates qui ont acquis une grande réputation au Maroc. Leurs pratiques de la voltige, des pyramides humaines et de la roue libre, figures qui avaient auparavant une vocation guerrière, sont devenues une prouesse artistique que les Hmad Ou Moussa déploient lors des représentations qu’ils donnent dans les Halkas qui ont lieu dans des endroits tels que la place Jamaa al Fna.  En étant aidé dans sa mission par des membres des Hmad ou Moussa, Atoman s’inscrit dans la culture folklorique du pays. 

Le costume du super-héros est une autre allusion à la culture autochtone. Il a été confectionné à partir du cuir de Boujloud, à la manière du rituel ancestral par lequel un homme recouvert de peaux de bêtes se métamorphose en animal.

Terre foisonnante de mythes hellénistes, le Maroc est cité dans la littérature atlantologue comme l’une des probables localisations de l’ancienne cité engloutie de l’Atlantide, mais aussi des divinités Atlas, Antée et Sophax. En outre, c’est dans la région de Linux (actuel Larache) que se situe le jardin des Hespérides. Ce paradis terrestre, « jardin d’immortalité réservé aux Dieux », avant-dernière épreuve des douze travaux d’Hercule, où des pommes d’or poussent dans les arbres. Des arganiers selon les dernières suppositions.

En conclusion, en tant qu’auteur marocain de fiction, de surcroit du genre fantastique, je revendique un droit de puiser dans des sources d’inspiration diverses et variées pour écrire mes histoires. Pourvu qu’elles aient un lien avec mon pays. Et cela est le cas pour celles qui concernent l’Atlas, cette chaîne de montagne du Maroc à l’incroyable pouvoir d’évocation à l’échelle de l’imaginaire collectif mondial. 

D’ailleurs, à l’origine en 1951, avant de devenir le MCU (Marvel Cinematic Universe), cet immense mastodonte culturel américain à qui l’on doit la mythologie contemporaine des super-héros, Marvel portait le nom de Atlas Comics.

En priant la rédaction de Cheminez d’agréer l’expression de mes meilleures salutations.

Omar Mrani

Scénariste


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