Sorti en France le 29 août 2025 sur Prime Video, la plateforme de streaming d’Amazon, Atoman s’est imposé comme un phénomène malgré lui. Considéré à l’unanimité comme un « nanar », le film a été largement raillé par le public, les influenceurs et la presse spécialisée. Pourtant, l’œuvre d’Anouar Moatassim ne manquait pas d’ambition, étant le premier film de super-héros marocain et africain. Comment expliquer alors l’échec retentissant d’Atoman ?  

Atoman raconte l’histoire de Hakim, un hacker de réputation internationale, qui découvre qu’il possède un pouvoir extraordinaire dont dépend l’humanité, après avoir échappé de justesse à une tentative d’assassinat. Nous ne reviendrons pas sur les nombreux soucis d’écriture, de mise en scène, de montage et de jeu d’acteur du long-métrage. Tous ces aspects ont   déjà été très largement commentés, et loin de nous l’envie de tirer sur l’ambulance. 

À combien plus forte raison que Atoman se distingue par son ambition : offrir un film de super-héros marocain, un genre inédit dans le cinéma du Royaume chérifien. À l’instar de l’Algérie, le Maroc dispose d’une industrie cinématographique moins développée que celle de la France, de l’Italie, de l’Iran, de l’Égypte ou de la Corée du Sud. Bien que la production ait sensiblement augmenté depuis les années 1990 — passant d’une moyenne de quatre films par an entre 1989 et 1999, selon l’UNESCO, à un record de 34 films en 2023 —, elle reste limitée.    

Si certains influenceurs et critiques cinéma ont pointé la responsabilité du Centre Cinématographique Marocain, qui contrôle les aides financières allouées aux longs-métrages, le metteur en scène Ahmed El Maânouni expliquait dans nos colonnes que « le système d’avance sur recettes est plus qu’honorable »

Le cinéaste, véritable pionnier du cinéma marocain avec des films comme Alyam, Alyam et Transes, critique plutôt la politique culturelle du Maroc, qui n’a pas suffisamment éduqué la population pour qu’elle se dirige vers les salles de cinéma. « Produire soixante-dix ou cent films par an ne servirait à rien si, en face, on n’a pas une politique culturelle claire et ambitieuse, qui vise à éduquer le public marocain au plaisir et à l’importance du cinéma. Tant que cette dimension sera absente, nos films risqueront de rester sans spectateurs. » 

En ce sens, la carrière d’Atoman est tout à fait respectable : sorti en salles au Maroc en avril 2023, il a également été présenté dans des festivals européens, notamment le Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF), très prisé des cinéphiles, avant de devenir le premier long-métrage marocain diffusé sur une plateforme de vidéo à la demande de premier plan. Cette distribution internationale reste une exception, l’industrie cinématographique marocaine souffrant d’une visibilité limitée à l’étranger.

Malgré ces « premières », Atoman demeure un film bancal. Cette coproduction belgo-marocaine, dotée d’un budget modeste de 2 millions d’euros, ne peut rivaliser avec les blockbusters hollywoodiens de Marvel ou DC Comics, dont les budgets dépassent souvent les 200 millions de dollars, même pour leurs productions les moins ambitieuses. Atoman rappelle ainsi le personnage de Boris Grushenko, interprété par Woody Allen dans Guerre et Amour (1975), qui part affronter Napoléon armé d’un simple filet à papillons.    

Du reste, Atoman apparaît comme un film à l’identité incertaine. Coproduit par une société marocaine et une société belge, le long-métrage semble davantage s’adresser à la diaspora marocaine en Europe qu’aux résidents du Maroc. Cette orientation transparaît notamment dans ses inspirations : en plus de reprendre, avec une certaine maladresse, les codes des origin stories des super-héros américains, le film d’Anouar Moatassim multiplie les références à Dragon Ball ou encore à Matrix.

Cela dit, il n’est pas question de reprocher à un cinéaste marocain de s’inspirer de la culture populaire internationale. Les plus grands réalisateurs puisent dans les œuvres de leurs pairs, et l’inspiration artistique tisse des ponts entre les cultures. Personne ne songerait à reprocher à John Woo d’être insuffisamment hongkongais sous prétexte que son cinéma est marqué par l’influence de Jean-Pierre Melville. La différence réside dans le fait que, chez Woo, cette influence ne se fait jamais au détriment de l’identité propre de ses films.     

Ainsi, si  l’on retrouve des traces du cinéma de Jean-Pierre Melville dans la composition des plans et dans certains thèmes des films de John Woo — notamment l’amitié virile, la loyauté, le sens du sacrifice —, le cinéaste hongkongais a toute latitude pour explorer dans ses polars la situation de l’ancienne enclave britannique avant la rétrocession à la Chine en 1997. Au contraire, Atoman se noie sous le poids de ses références occidentales, et tue dans l’oeuf la possibilité d’explorer l’histoire, la culture et l’identité marocaines

Si l’on peut se réjouir du fait que le film mêle les langues française, arabe et amazigh — certes, dans des dialogues terriblement mal écrits —, le traitement que le long-métrage fait du mythe l’Atlantide a de quoi nous interroger. En effet, Atoman situe la cité mythologique submergée dans les montagnes de l’Atlas, reprenant à son compte des théories très appréciées sur internet, notamment depuis la parution du livre Meet Me in Atlantis de Mark Adams, qui popularise le modèle probabiliste établi par l’informaticien allemand Michael Hübner. 

Cette théorie, unanimement rejetée par la communauté scientifique, trouve un écho singulier au XIXème siècle, notamment à travers l’ouvrage Les Atlantes, histoire de l’Atlantis et de l’Atlas primitif, ou Introduction à l’histoire de l’Europe (1883), écrit par le géographe français Étienne-Félix Berlioux, grand promoteur des bienfaits « civilisateurs » de la colonisation de l’Afrique par l’Europe. En plaçant l’Atlantide sur l’Atlas, le géographe légitimait la présence française au Maroc. 

L’introduction de l’essai est éloquente : « En comparant ces deux époques, celle des Atlantes [que É-F Berlioux appelle aussi les Européens] et celle des colons venus de la Phénicie, on verra, avec étonnement, que la période la plus brillante, la plus connue aussi, n’est pas celle où les maîtres de Tyr et de Carthage ont dominé l’Afrique occidentale, mais bien la période des Atlantes. […] Dès que les Phéniciens eurent établi leurs colonies autour de cette terre, l’Atlas fut fermé au commerce étranger. Il eut encore de grands marchés, mais il cessa d’être un champ ouvert à la science et il rentra dans l’obscurité, c’est-à-dire dans la barbarie»

On comprend dès lors qu’en plaçant l’Atlantide sur les montagnes de l’Atlas, le géographe légitime la colonisation du Maroc par la France par plusieurs biais : premièrement, l’Atlas serait originellement européenne ; deuxièmement, la région retrouverait ainsi son prestige d’autrefois, après plusieurs siècles passés dans l’obscurité. 

Malgré son caractère spéculatif et ses origines dans un contexte colonial, la théorie plaçant l’Atlantide dans le massif de l’Atlas au Maroc rencontre un écho très positif dans le pays. Tout d’abord, elle sert de levier stratégique pour promouvoir le tourisme dans le Haut-Atlas, notamment à travers des circuits et sentiers dédiés qui capitalisent sur le mythe. Par ailleurs, la population amazighe s’approprie ce narratif pour affirmer sa légitimité en tant que communauté autochtone, cette théorie étant perçue comme une « preuve » de sa présence pré-islamique et pré-arabe dans la région.    

À quoi aurait pu ressembler Atoman, le premier film de super-héros marocain ? Le  long-métrage aurait pu explorer le mythe de l’Atlantide sous un angle nouveau, en mettant en lumière ses dimensions coloniale, économique et autochtone dans le contexte marocain. De plus, il aurait bénéficié d’une mise en valeur accrue des cultures marocaine et amazigh. Au lieu d’attribuer au héros des techniques inspirées des arts martiaux asiatiques, ses pouvoirs auraient pu être ancrés dans les transes mystiques décrites par Ahmed El Maânouni dans son documentaire sur le groupe de gnawa Nass El Ghiwane

Du reste, on peut s’interroger sur la possibilité d’un film de super-héros marocain, tant la fiction super-héroïque apparaît par essence comme le récit mythologique occidental du XXIème siècle. Après tout, même dans des cinémas aussi structurés que les industries cinématographiques chinoise, sud-coréenne, japonaise ou française, les récits super-héroïques apparaissent très marginalement au sein de la production des blockbusters

Les films de super-héros incarnent le divertissement spectaculaire hollywoodien, tandis que le Maroc possède une histoire riche où coexistent résistants amazighs et saints soufis. Ses formes narratives, comme l’épopée, pourraient, si elles étaient adaptées au cinéma, donner naissance à des longs-métrages particulièrement ambitieux. Ainsi, le public marocain pourra rencontrer une image plus précise de lui-même et de son histoire qu’à travers un super-héros atlante


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