Je m’appelle Olivier Brisson. Après vingt ans de carrière comme avocat spécialisé en droit d’asile, je suis désormais retraité, mais reste actif sur ces enjeux, notamment au sein de l’association MEDA (Médecins du Droit d’Asile). Voici une courte fiction que j’ai écrite il y a quelques années, puis adaptée pour Cheminez, visant à sensibiliser les lecteurs aux défis du parcours migratoire et particulièrement des demandeurs d’asile.

Je suis Lucas, j’ai 26 ans et je viens d’une petite commune près de Bordeaux, où j’ai grandi entouré de ma famille. En 2027, un parti extrémiste a pris les rênes du pouvoir en France. Un haut gradé militaire a été désigné Premier ministre. Les opposants au régime ont été systématiquement intimidés et menacés.
J’ai quitté mon foyer juste avant une descente de police. Où me réfugier ? L’Espagne, si proche, semblait une option, mais trop risquée en raison de sa proximité. Craignant les contrôles dans les aéroports comme Roissy ou Orly, j’ai opté pour un voyage en train vers l’Est.
C’est ainsi que je me suis retrouvé à bord du Transsibérien. Ne parlant pas un mot de russe, je restais silencieux, échangeant à peine quelques mots avec des voyageurs montant à Moscou, Krasnoïarsk ou Irkoutsk. Après avoir longé le lac Baïkal, j’ai fini par arriver à Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie.
À l’arrivée, j’ai failli manquer ma destination : les annonces dans le train et les panneaux à la gare étaient en mongol, une langue que je ne comprenais pas. Heureusement, un voyageur anglophone, remarquant mon anxiété, m’a confirmé que c’était bien là que je devais descendre.
Je me suis retrouvé plongé dans une ville d’un million d’habitants, où la langue et l’écriture m’étaient totalement étrangères. Seule une poignée de personnes parlait un anglais sommaire. En apercevant l’enseigne d’un Novotel, je m’y suis précipité pour y passer une nuit, mais mes économies ne me permettaient pas de rester davantage.
À l’accueil de l’hôtel, un employé m’a indiqué, en anglais, l’emplacement d’un commissariat : troisième rue à gauche, puis septième à droite, et encore 500 mètres. Après un parcours semé d’embûches, j’ai atteint ce qui semblait être le bon bâtiment. Un homme, s’exprimant dans ce que je supposais être du mongol, m’a fait signe de revenir le jeudi, un mot qu’il a prononcé en anglais.
J’ai passé deux nuits dans la rue, près du marché Khan Zhan, dans un froid mordant. J’avais changé quelques euros en tugriks, de quoi survivre trois jours. Isolé, transi, j’ai craqué sous le poids de la solitude.
Le jeudi, je suis retourné au commissariat. Après trois heures d’attente, un officier en uniforme, dont l’anglais était difficile à comprendre, a fini par saisir que j’étais français en voyant mon passeport. Il m’a demandé de revenir la semaine suivante, promettant la présence d’un interprète.
Les huit jours suivants ont été un calvaire. La peur de perdre mon argent ou mon passeport ne me quittait pas. Lors de mon rendez-vous suivant, un interprète m’a expliqué que pour rester en Mongolie, je devrais convaincre un juge que ma vie était en danger en France. « Racontez votre histoire par écrit, en mongol, évidemment », m’a-t-on dit. Sans aide pour traduire, j’étais désemparé.
Heureusement, l’employé du Novotel, moyennant une petite somme, a accepté de traduire en mongol mon récit : une page sur la dérive autoritaire du gouvernement français et une autre sur mes craintes d’être arrêté si je rentrais. J’ai déposé ces documents au commissariat, où l’on m’a remis un papier incompréhensible, probablement une preuve de ma demande, et on m’a demandé de revenir quotidiennement.
Pendant six mois, j’ai survécu grâce au marché local. Un marchand de vin, apprenant que je venais de Bordeaux, m’a jugé compétent et m’a embauché deux jours par semaine, surtout pour attirer des clients. Cela m’a permis de tenir.
On m’a finalement convoqué, propre et reposé, à un rendez-vous cinq jours plus tard, dans un lieu indiqué sur un document en mongol. À l’heure dite, je me suis retrouvé face à trois personnes, dont un interprète canadien avec un accent difficile à suivre. Je n’ai pas compris qui étaient les deux autres.
L’interrogatoire a commencé.
« Où êtes-vous né ?
– À Bordeaux.
– Votre passeport indique Bouliac, pas Bordeaux. Pourquoi parlez-vous de Bordeaux ? Vous mentez ?
– Non, Bordeaux est juste à côté, je n’ai pas pensé que c’était important. »
On m’a alors demandé combien de ponts traversent la Garonne à Bordeaux. « Cinq ? Six ? » ai-je répondu, hésitant. « Vous devriez le savoir si vous êtes de là-bas ! » a-t-on rétorqué.
L’entretien s’est poursuivi avec des questions sur mes parents : pourquoi étaient-ils restés en France si la situation était si périlleuse ? Puis sur le vin de Saint-Émilion, le nom de l’archevêque de Bordeaux, et enfin sur mon engagement politique : pour qui avais-je voté en 2017 ? Qui était candidat aux législatives de 2022 à Bordeaux pour le parti au pouvoir ?
Après trente minutes, on m’a coupé : « Plus de questions. » J’ai tenté de parler de la situation politique en France, mais on m’a interrompu : « J’ai lu votre récit. Vous aurez une réponse dans trois semaines. Vous saurez alors si vous pourrez rester dans notre pays. Merci. »






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