Au début de son grand roman Les Misérables, l’écrivain français Victor Hugo mentionne une rencontre entre un évêque et la bande de Gaspard de Besse. Pour un lecteur qui n’aurait pas connaissance de l’Histoire de cet enfant de Provence, cette séquence du roman aurait pour seul intérêt de raconter l’un des nombreux exploits que Victor Hugo prête à son évêque, en tout point exemplaire. Par sa proximité avec Dieu, ce saint homme aurait réussi « à dresser les brigands », avec plus d’efficacité que l’immense catalogue des peines et des châtiments que promet la société, et contre lesquelles Victor Hugo a mené un combat acharné, dans son œuvre littéraire et dans ses mandats politiques.
Aussi, la découverte de l’Histoire de Gaspard de Besse – et à travers lui, celle de ses hommes de main – est-elle l’occasion d’apporter un éclairage supplémentaire à la fois sur la réussite de Monseigneur Bienvenue d’une part, et sur l’histoire riche et passionnante de nos brigands régionaux d’autre part.
Dans le Chapitre VII du Livre Premier des Misérables, le maire de Castellet-lès-Sausses tente de convaincre Monseigneur Bienvenu, évêque de Digne, de renoncer à se rendre dans « une humble petite commune » où résident « de doux et honnêtes bergers ». Pourquoi l’élu communal cherche-t-il à détourner ce saint homme de sa mission ? « Après la destruction de la bande de Gaspard Bès, qui avait infesté les gorges d’Ollioules, l’un de ses lieutenants, Cravatte, s’est réfugié dans la montagne.»

Au maire, qui lui prédit une mort atroce et compare Cravatte, ainsi que « le reste de la bande de Gaspard Bès », à « une meute de loups », Monseigneur Bienvenu répond que « eux aussi ont besoin qu’on leur parle du bon Dieu » et promet de leur demander « l’aumône pour [ses] pauvres ». À son arrivée à Castellet-lès-Sausses, l’évêque découvre une paroisse dépourvue de tout ornement épiscopal, sans aucun signe de ce qui pourrait « vêtir convenablement un chantre de cathédrale ».
C’est alors que débarquent « deux cavaliers inconnus », portant une grande caisse. À l’intérieur : « une chape en drap d’or, une mitre ornée de diamants, une croix archiépiscopale, une crosse magnifique, ainsi que tous les vêtements pontificaux volés un mois auparavant au trésor de Notre-Dame d’Embrun ». Le tout était accompagné d’un papier portant l’inscription : « Cravatte à Monseigneur Bienvenu. » À son retour, le saint homme dit à sa sœur : « Prions Dieu, non pour nous, mais pour que notre frère ne tombe pas en faute à notre occasion. »
Si Victor Hugo précise que cette anecdote est de celles « qui font le mieux voir quel homme c’était que M. l’évêque de Digne », convenons toutefois que la courtoisie dont la bande de Gaspard Besse a fait preuve à l’égard de Monseigneur Bienvenu était peut-être sans rapport avec ses pieuses prières. Pour le comprendre, il nous faut revenir sur l’histoire presque légendaire de cet enfant de Provence.

Gaspard Jean-Baptiste Bouis doit son surnom au village provençal de Besse-sur-Issole, où il est né le 9 février 1757. Fils de Jean-Baptiste et de Thérèse Roux, ménagers – de petits paysans cultivant des terres dont ils sont propriétaires –, le jeune Gaspard devient orphelin de père à l’âge d’un an. Il reçoit l’éducation d’un prêtre, ce qui lui permettra de s’exprimer « en bon français » lors de son procès, et quitte son village natal en 1774 pour Toulon, à l’âge de 17 ans.
Les raisons qui ont conduit Gaspard Bouis à suivre la voie du brigandage ne sont pas très claires. Pour certains, celui qui se fait appeler Gaspard de Besse – ou Gaspard Besse – était un homme sensible aux idées des Lumières ; pour d’autres, il a déserté l’armée du roi après avoir été enrôlé de manière trompeuse. Poète et dramaturge proche de Victor Hugo et membre de l’Académie française, Jean Aicard (1848-1921) a consacré de nombreux textes à Gaspard de Besse, enfant du Var, qu’il qualifiait de « fameux voleur révolutionnaire » dans Maurin des Maures.
Et cette expression ne semble pas usurpée. Si Gaspard Besse était bel et bien un voleur – avec sa bande, il volait les courriers diplomatiques venus d’Italie et détroussait les marchands fortunés de passage dans le massif de l’Estérel –, ses comportements délictueux s’en prenaient à l’ordre établi. Le jeune homme a organisé l’évasion de bagnards, notamment Jacques Augias – condamné parce qu’il avait revendu quelques kilos de sel dérobés – afin d’éviter la misère à son épouse Claire et à ses quatre enfants. Jacques Augias et Joseph Bouilly, lui aussi libéré grâce au secours apporté par Gaspard, sont devenus ses fidèles lieutenants.
Gaspard de Besse se déguisait également en gentilhomme et utilisait son charme naturel pour duper la noblesse locale, afin de les détrousser sans qu’ils ne s’en rendent compte. On rapporte qu’il se serait introduit incognito à une soirée du Château de Fontblanche, près de Cassis, et aurait dépouillé les invités. Il redistribuait ensuite les biens volés aux plus démunis.

À Draguignan, apprenant les nombreux torts que la famille des seigneurs Raphélis faisait endurer aux habitants de Tourtour, Gaspard et sa bande attaquèrent la Bastide de Beauvezet, aussi surnommée Grange du Gavot, où résidaient les despotes. Non seulement il leur extorqua de grosses sommes d’argent, des bijoux précieux et des œuvres d’art, mais le jeune brigand les menaça de commettre des méfaits bien plus douloureux s’ils continuaient à se comporter comme des tyrans avec la population locale.
Souvent comparé à Mandrin, il est également surnommé « Robin des Bois provençal ». Là encore, la comparaison ne paraît pas exagérée. Tout d’abord, Gaspard de Besse avait un code d’honneur très strict, que résume parfaitement sa devise restée célèbre : « Effrayez, mais ne tuez point. » Ensuite, de la même façon que Robin de Loxley était entouré de ses Joyeux Compagnons (Merry Men), Gaspard pouvait compter sur sa bande, dont l’historien Gilbert Simon nous rappelle les origines modestes. « Parmi les 24 personnes qui sont jugées comme membres de la bande de Gaspard de Besse, nous trouvons un charbonnier, un muletier et trois aubergistes. »
Surtout, la forêt et les grottes qu’elle abrite étaient leur royaume. Une lettre écrite par un notable anonyme, adressée au Directeur Général des Finances à Versailles et datée de 1780, nous apprend qu’« il s’est formé depuis six mois dans le bois de l’Estérel en Provence une bande de voleurs sous un fameux chef connu et échappé des prisons (Gaspard de Besse). Cette troupe grossit tous les jours… » Plus tard dans la lettre, le délateur explique : « Nous ne sommes plus en France, mais plutôt parmi les brigands de l’Arabie. » Des propos qui, aujourd’hui, n’auraient pas déparé sur le plateau de CNews après une homélie éditoriale de Pascal Praud ou de Florence.

Afin d’arrêter le brigandage de Gaspard Besse, l’intendant de Provence va embaucher des personnes qui connaissent également la forêt : les braconniers. « Cela nous montre que les rapports entre le brigand et les autres éléments humains de la forêt ne sont pas toujours des rapports d’entente et de complicité », développe Gilbert Simon dans son article Le Brigand et la Forêt.
Malheureusement, Gaspard est trahi par un de ses compagnons et se fait arrêter en septembre 1780. Durant son procès, qui dura un an, il saisit l’occasion de déclarer en bon français : « Les deux fléaux de la Provence sont le mistral et le parlement. » Bien qu’il n’ait jamais tué ni blessé qui que ce soit, Gaspard est condamné à mort pour « crime de vol sur grand chemin avec armes ». Sur l’arrêt de condamnation du brigand et de deux de ses complices, on peut lire : « Leurs têtes seront séparées de leur corps et portées par ledit exécuteur sur les Grands Chemins, savoir celle de Gaspard Bouis au bois des Taillades, celle de Joseph Augias au bois de Cuges et celle de Jacques Bouilly au bois de l’Estérel, où elles seront clouées à des arbres qui bordent lesdits chemins. »
Le 25 octobre 1781, Gaspard de Besse est exécuté sur la roue. Il avait 24 ans. Dans son roman L’Illustre Maurin, Jean Aicard écrit : « Gaspard de Besse, condamné à la roue par le Parlement d’Aix, marcha au supplice en habit de soie couleur gorge de pigeon et une rose à la main, dont il saluait les nobles dames qui pleuraient à leur balcon. Tout Aix, ce jour-là, versa des larmes. » Bien qu’il s’agisse d’une version idéalisée de l’exécution du jeune brigand, elle dit beaucoup de son impact sur la population.

La complainte provençale Gaspard de Besse, Pouemo en très chants su la priso, la conduito eis prisoun d’Aï et l’exécution de Gaspard de Besse, publiée à Aix l’année de sa mise à mort, témoigne elle aussi de l’adhésion populaire aux méfaits du Robin des Bois provençal. Aujourd’hui, il demeure un héros populaire célébré : il est le protagoniste de plusieurs films et téléfilms. Son trésor personnel, qui selon la légende serait enfoui dans la plaine de Cuges-les-Pins, fait aujourd’hui encore l’objet de recherches acharnées par des chasseurs de trésors.





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