Parce que c’est une occasion de se déguiser, de manger des bonbons et de regarder des films d’épouvante – ou d’horreur selon les goûts de chacun –, Halloween est d’abord perçue comme une ancienne fête religieuse celte (Samain, ou Oíche Shamhna en gaélique), passée à la moulinette américaine pour devenir un divertissement sucré où l’on s’autorise à être macabre. Pour cette fête Halloween 2024, la rédaction de Cheminez a décidé de vous parler de vampires, d’Irlande et de surdité. Tout ça en même temps !
Publié en 1897, Dracula est un roman épistolaire fantastique écrit par Bram Stoker, souvent rattaché au mouvement gothique, dont il offre une synthèse esthétique notamment dans son dérèglement des dimensions spatiales provoquant l’aliénation. Mais le goût pour un imaginaire sépulcral et les ambiances macabres n’interdit ni la rationalité ni la participation aux débats sociaux, artistiques, philosophiques et scientifiques. Bien au contraire !

Bien que l’on ait souvent réduit Dracula à sa manière d’aborder une sexualité défiant les normes sociales de l’époque – un thème central dans certaines adaptations du roman, notamment celle de Francis Ford Coppola –, le roman de Bram Stoker aborde plus frontalement la tension entre deux formes de sciences, incarnées par Dracula et Van Helsing, le premier utilisant la science pour son propre profit, le second pour le bien de l’humanité. En outre, la folie et les éclairs de raison du personnage de Renfield, le patient de l’hôpital psychiatrique jouxtant la demeure du Comte en Angleterre, traduit l’intérêt de Bram Stoker à l’égard des premiers travaux de Sigmund Freud, qui était son contemporain.
Avant lui, dans l’écriture de Frankenstein ou le Prométhée moderne, Mary Shelley a été fortement influencée par sa fréquentation de ses amis romantiques, dont le poète Lord Byron, sa lecture de philosophes tels que John Locke (Essai sur l’entendement humain) et son adhésion à certains principes de la Révolution française.
Les notes de Bram Stoker révèlent également que l’écrivain irlandais a désiré aborder dans Dracula une question qui lui était très chère, avant d’y renoncer : la surdité. En effet, il semblerait que Dracula devait initialement être accompagné de deux serviteurs anglais : une femme sourde-muette et un homme muet. Ces deux personnages semblent avoir été supprimés au profit des trois Femmes-Vampires et de Renfield.

Si l’on ignore les raisons qui ont poussé l’écrivain à supprimer ces deux personnages, la famille Stoker s’est beaucoup illustrée en Irlande dans son engagement sur la question sourde. Charlotte Stoker, la mère de Bram, était une militante qui se battait en faveur des personnes atteintes de surdité. Elle a d’ailleurs rédigé en décembre 1863 intitulé “On the necessity of a state provision for the education of the deaf and dumb of Ireland” (“Sur la nécessité d’une provition étatique pour l’éducation des sourds et des muets d’Irlande’’). Elle reçut le soutien du chirurgien irlandais William Wilde, le père d’Oscar Wilde (Le fantôme de Canterville), qui entreprit de recenser les sourds d’Irlande en 1851.
L’histoire réserve parfois de belles surprises. Dans un article du New York Times publié le 19 octobre 2024, on apprend que Brian Cleary, pharmacien clinicien lui-même atteint de surdité et écrivain passionné par l’œuvre de Bram Stoker, a découvert une nouvelle inédite de l’auteur de Dracula intitulée Gibbet Hill et publiée dans un supplément du Dublin Daily Express paru le 17 décembre 1890.

Comme le rappelle Brian Cleary, Gibbet Hill a été écrite en même temps que Dracula et comporte des éléments du célèbre roman de vampires. Paul Murray, spécialiste de l’œuvre de Bram Stoker, a expliqué à l’AFP que la nouvelle est « une histoire typique de Stoker, la lutte entre le bien et le mal, le mal qui surgit de manière étonnante et inexpliquée, et elle constitue une étape sur son parcours qui aboutira à la publication de Dracula ». Gibbet Hill est une colline du Surrey (Angleterre) qui tire son nom d’un effroyable fait divers : trois hommes sont pendus après avoir tué un marin. Le lieu sert de décors à un conte gothique.
Pour fêter cette immense découverte, Gibbet Hill a été publié dans un livre illustré, avec la collaboration du peintre irlandais Paul McKinley. Les recettes du livre seront intégralement reversées au Charlotte Stoker Fund, dans le but de financer la recherche sur les facteurs de risques de surdité chez les nouveau-nés. On ignore si un fantôme de Bram Stoker hante l’Irlande, mais son œuvre continue de contribuer aux luttes qui ont animé sa mère au XIXème siècle.






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