Chaque vendredi de décembre, Cheminez vous propose deux livres à découvrir et à offrir à vos proches pour les fêtes de Noël. Et le livre que nous vous présentons aujourd’hui est on ne peut plus en adéquation avec l’actualité brûlante.
Ce début de semaine a été marqué par l’échec du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin à faire voter son projet de loi sur l’immigration à l’Assemblée nationale. Votée en première lecture au Sénat, la « Loi Darmanin » a fait l’objet d’une mention de rejet préalable par les députés. Si le gouvernement a encore l’opportunité de renvoyer le texte législatif vers le Sénat ou vers une commission mixte paritaire, cet échec rappelle combien l’immigration divise beaucoup les français.

Sujet de prédilection de certains partis politiques, l’immigration est régulièrement évoquée sur les plateaux de télévision, et donne naissance à des débats houleux où politiques, journalistes et éditorialistes s’invectivent, parfois violemment. On peut regretter cependant que parmi la myriade de politiciens, éditocrates, sociologues et représentants syndicaux de la Police Nationale, qui sont invités à discuter de ce sujet, ne se trouve souvent aucun migrant. Les principaux intéressés ne semblent pas avoir le droit de s’exprimer.
Aussi, la lecture de Manuel d’exil et du Livre des départs de Velibor Čolič (prononcez « tcholitch ») nous apparaissent comme des documents indispensables. Ces deux livres sont les deux premiers volumes d’une autobiographie en trois tomes (le prochain, Guerre et Pluie, sera publié dans les prochains mois), dans lesquels l’écrivain bosniaque revient avec humour et poésie sur son expérience de migrant.

Né en Bosnie-Herzégovine en 1964, Velibor Čolič a d’abord été journaliste et écrivain, avant d’être enrôlé pour participer à « cette putain de guerre » de Bosnie-Herzégovine, dont il nous raconte toute l’horreur en quelques phrases très évocatrices :
« À une dizaine de mètres, une filette joue. […] Je la connais, on l’appelle Alma. Elle a sept ans et vit de la charité. […] Subitement, je la vois tomber en silence. Elle ne bouge plus. C’est un peu étrange, un enfant qui tombe soit il se relève soit il pleure, mais la petite Alma ne bouge pas. »
Parce qu’il en a « plein le dos des armes et des drapeaux, des nuits sans fin qui mordent les mains et les aubes violettes qui commencent avec les obus ennemis », Velibor Čolič déserte, et arrive à Rennes en 1992, où il devient « l’homme au pas lourd et au corps brisé », « un chien mouillé d’oubli, dans une longue nuit sans aube, une petite cicatrice sur le visage du monde […], le réfugié ».

Qu’est-ce qu’être migrant, réfugié, apatride ? Velibor Čolič nous permet de percevoir ce que les statistiques qui nous sont assenées quotidiennement ne nous disent pas. Sous-titré « Comment réussir son exil en trente-cinq leçons », le premier livre nous détaille par le menu les nombreux combats des migrants pour retrouver « dignité » et « verticalité ». L’un d’entre eux, qui peut paraître anodin, est la bonne prononciation de leur prénom. Un besoin impérieux pour Velibor Čolič, qui ne souhaite pas qu’on l’appelle « colique ».
Viennent ensuite les nombreuses difficultés liées à l’administration et à son lot d’absurdités, la pauvreté et le déclassement social (« Je suis un mannequin de seconde main », écrit-il), et la nécessité de se faire des inventaires : « Je m’habille chez Abbé & Pierre, je suis PDF (plusieurs domiciles fixes) ou QDF (quelques domiciles fixes), j’ai tout le temps faim et froid, je ne parle pas bien le français, dans mon pays c’est encore la guerre, mais il me semble que je suis toujours vivant. »
Arrivé en France « avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre », Velibor Čolič a d’abord été « celui qui ne comprend rien et n’arrive pas à se faire comprendre » ; il a donc fallu apprendre la langue, mais pas uniquement pour communiquer : « Il me faut apprendre le plus rapidement possible le français. Ainsi ma douleur restera à jamais dans ma langue maternelle. » Naturellement, la question de la langue a particulièrement retenu notre attention : en effet, elle est d’abord un facteur d’exclusion ; ne pas la connaître, c’est être isolé. Toutefois, cette même langue, une fois apprise, permet de se reconstruire. Depuis Velibor Čolič l’a apprise, et a été couronné du Prix du rayonnement de la langue et de la littérature françaises décerné par l’Académie Française en 2014, et espère obtenir un jour le Prix Goncourt.

Se définissant comme « un marin sans mer et un rêveur qui souffre d’insomnie », Velibor Čolič nous livre dans ces deux « inventaires » autobiographiques un portrait sensible et poétique, mais également bourré d’humour et d’autodérision : « Je suis trop gros pour me sentir Jésus, trop blanc pour être un Noir, et j’ai trop d’accent, trop de guerre pour me voir en vrai Européen. », ou encore : « Désoeuvré, je cherche tous les mots possibles pour définir la solitude. « Seul », je dis en français, « sam » en serbo-croate, « lonely » en anglais, « allein » en allemand. A défaut d’être patriote, par la force des choses, je suis devenu polyglotte. »
Alors que la question de l’immigration semble, dans les débats télévisés, inextricablement liée à la question de l’identité, Velibor Čolič nous livre une réflexion, sur laquelle tous les responsables politiques – de tous les partis – devraient méditer : « La France n’est pas ma patrie. Mais régulièrement elle est mon pays. »
Vous l’aurez compris, nous vous recommandons vivement ces deux ouvrages. Nous avons d’ailleurs rencontré Velibor Čolič au festival Lettres du Monde, et prévoyons de l’interviewer dans un avenir proche. Si cette chronique vous a intéressé, nous vous recommandons également la lecture d’Allons enfants de la Guyane d’Hélène Ferrarini, qui comptait également parmi nos plus gros coups de cœur du festival.






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